Il seroit aussi ridicule qu’ennuyeux de retourner sur nos pas : mais je donnerai ici à mes jeunes confreres un conseil qui par-tout ailleurs ne figureroit pas si bien ; c’est celui d’éviter un défaut commun aux comiques de toutes les nations. […] Je trouve encore fort ridicule qu’on s’adresse au spectateur pour lui dire que la comédie est finie.
Cependant, s’ils s’étoient avisés de mettre le titre de Comédie à la tête de leurs ouvrages, de les distribuer en scenes, & de les exposer sur le théâtre, le crédit des Auteurs & l’amour de la nouveauté auroient pu les y soutenir quelque temps ; mais ils en seroient bientôt tombés pour être ensevelis dans l’oubli ; ou pour ne devoir leur célébrité qu’à leur ridicule. […] En second lieu, puisque c’est au goût à choisir, n’est-il pas absurde, ridicule qu’on donne l’exclusion à un genre avoué par les nations & par les siecles les plus éclairés, en faveur d’un genre monstrueux qui a mille fois tenté de paroître au grand jour, & qui a mille fois été proscrit ?
Il est ridicule que Géronte ayant vu de très près Crispin sous l’habit de campagnard, ne le reconnoisse pas sous celui de Veuve. […] Le spectateur ne sait jamais à quel intrigant il a l’obligation du succès ; & l’Auteur, embarrassé pour nuancer leurs rôles, ou ne met aucune différence entre eux, on ne différencie celui du valet que par un jargon bas & affecté, tout-à-fait ridicule.
La Comtesse d’Escarbagnas joint au ridicule de titrer avec emphase Messieurs ses fils, celui de parler avec affectation de ses chandeliers d’argent, de sa bougie qui n’est que de suif, de son garde-meuble qui est son grenier. […] Son caractere n’est pas mieux frappé que les quatre autres : tous ont une portion de ridicule à-peu-près aussi forte ; ils fournissent presque autant de comique l’un que l’autre.
Molière, qui frondait les ridicules de la cour avec l’approbation du roi, ne se fût jamais permis de placer le roi lui-même dans une situation désavantageuse. […] Pour saisir, pour exprimer le ridicule, il faut avoir connu par soi-même le mensonge des promesses, et Molière possédait cette science que les livres n’ont jamais enseignée.
La période de 1650 à 1660 va nous montrer une triple opposition : celle des mœurs dissolues et débordées de la cour et de la capitale, d’un côté, avec les mœurs retenues de la société spirituelle, décente et polie de l’autre, avec les précieuses ridicules. […] Elles trouvaient la reine et Mazarin assez ridicules pour être justiciables de leur autorité ; les motifs d’une guerre étaient si frivoles, le but des grands qui en parlaient si médiocre, qu’elles n’y voyaient qu’un amusement de courte durée, une tracasserie armée, un trigaudage travesti en entreprise guerrière, dont elles n’étaient pas indignes de partager la gloire.
« Il y a des caracteres ridicules dont la représentation plaît, sans causer de ris immoderés de joie ; Trissotin & Vadius, par exemple, semblent être de ce genre ; le Joueur, le Grondeur, qui font un plaisir inexprimable, ne permettent guere le rire éclatant. « Il y a d’autres ridicules mêlés de vices dont on est charmé de voir la peinture, & qui ne causent qu’un plaisir sérieux. […] L’amour voudroit le ramener vers sa femme ; mais le préjugé à la mode & la crainte de se donner un ridicule en avouant son amour, le retiennent ; il devient cependant jaloux de celle qu’il feint de n’aimer point, il l’outrage.
Si le héros ouvre seul la scene, il faut qu’il expose lui-même son caractere ; ce qui n’est pas facile, parcequ’un homme, ne connoissant point ordinairement ses défauts, ses ridicules, ses vices, ou les voyant d’un œil indulgent, risque de ne pas se peindre avec toute la fidélité nécessaire en pareil cas, ou, ce qui est encore pis, de ne toucher presque point à son portrait qui est essentiel, & de faire celui de tout ce qui l’entoure, & qui nous intéresse moins. […] Ce que nous avons vu de la premiere scene du Misanthrope, en parlant des contrastes, peut nous servir ici de modele ; Alceste y veut ériger sa misanthropie en vertu, & Philinte lui prouve qu’il se rend ridicule en la poussant à l’excès. […] Philinte devine qu’il a donné la migraine à Isabelle par sa timidité ridicule, & voudroit avoir le babil des jeunes courtisans.
Fénelon se contente de reprocher à Molière, d’une manière générale, « qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu ; » et il lui fait ce reproche aussi légèrement qu’il l’accuse de parler « souvent mal, d’approcher du galimatias, » et d’avoir été « gêné par la versification française812. » Il semble n’avoir lu qu’en courant, et pour pouvoir dire qu’il les connaissait, les ouvrages qu’il juge avec une autorité si absolue et si brève. […] Rousseau, qui, non content de trouver Molière « inexcusable » d’avoir joué dans le Misanthrope « le ridicule de la vertu, » se permet « d’accuser cet auteur d’avoir manqué dans cette pièce de très-grandes convenances, une très-grande vérité, et peut-être de nouvelles beautés de situation ; » après quoi il veut bien indiquer longuement comment la pièce aurait pu être moins mauvaise815. […] Immoler sous le rire tous leurs ridicules, toutes leurs passions honteuses, et leur montrer en riant ce que sont la vraie distinction et la vraie noblesse, c’est travailler sans aucun doute à les rendre meilleurs. […] Et puis, d’une autre part, toujours pour faire rire, il a forcé le cœur à être indulgent pour des gens méprisables, à s’intéresser au succès de ruses honteuses ; il a mis les grâces et l’esprit dans des personnes indignes ; il a chanté des refrains bachiques et des couplets licencieux ; il a fait des plaisanteries grivoises ; il a ri du crime d’adultère comme d’une chose fort comique ; il a tourné en ridicule, avec une verve inépuisable, l’autorité paternelle.
Il tourne en ridicule non seulement les idoles de la tribune, mais les grands dieux de l’Olympe eux-mêmes, dans ce qu’ils ont de contraire à la majesté de la nature divine. […] Au contraire, à mesure que la séparation entre l’idéal et le réel se prononça davantage, à mesure que l’habitude de philosopher apprit aux auteurs et à leur public à se retirer en eux-mêmes pour y chercher le type absolu de tout ce que la comédie voue au néant par le ridicule, le théâtre ne commença qu’en apparence à être plus moral, et il devint en réalité moins poétique et moins comique. […] 2º Ils se développent dans leur rapport avec une idée morale, avec quelque grand et général intérêt de la Société, de la Famille ou de la Religion, contre lequel ils ont la ridicule audace de batailler. […] Le Bon Sens et l’Art véritable sont également satisfaits de la mésaventure des Précieuses ridicules, et du désenchantement plus amer des Femmes savantes. […] Don Quichotte est ridicule ; dans un monde légalement ordonné, il veut créer l’ordre par la chevalerie, quand celle-ci n’est plus bonne qu’à le défaire.
[Introduction] Ce furent les Précieuses Ridicules qui mirent Moliere en réputation. […] Despréaux préféroit l’Avare de Moliere à celui de Plaute, qui est outré en plusieurs endroits, & entre dans des détails bas & ridicules. […] Despréaux préféroit l’Avare de Moliere à celui de Plaute, qui est outré dans plusieurs endroits, & entre dans des détails bas & ridicules.
Il n’est vice, ou faiblesse, ou sottise qui n’y passe ; il ne se laisse éblouir par aucune fausse respectabilité ; et du moment que le sentiment le plus sacré sort de la juste nature, Molière l’empoigne au passage, et en met à nu le ridicule. […] C’était une âme sèche, un esprit frivole, nonchalante, affectée, coquette par-dessus toute chose, incapable de sortir de son petit mot vaniteux pour comprendre ni l’amour, ni le génie de son mari ; — ne voyant en lui seulement que le mari, mari comme un autre, emporté, jaloux et ridicule ; à chaque réconciliation où il consentait, l’estimant moins, parce qu’elle l’avait abaissé ; et, pas plus que le valet de chambre de je ne sais plus quel Grec qu’on faisait fils de Jupiter, n’admettant que l’homme qu’elle savait ainsi bâti fut un demi-dieu. […] Mais il ne s’est pas peint en pied ; il ne s’est pas incarné dans tel ou tel de ses héros ; non pas même dans les sages, les Cléante, les Ariste, les Philinte ; et s’il est insensé de se représenter Alceste comme un Hamlet ou un Timon d’Athènes, il est ridicule d’y voir un Molière idéalisé, riant d’un rire amer et, du haut de ses infortunes conjugales, jetant l’anathème à l’humanité. […] C’est cette disproportion entre l’offre et la demande qui fait de lui ce qu’on appelait du temps de Molière un Ridicule, ce qu’on appelle aujourd’hui un personnage comique. […] Faut-il, comme il le prétend, n’épargner personne, dire à Dorilas qu’il nous importune avec sa bravoure et l’éclat de sa race, à la vieille Émilie que le blanc qu’elle a nous scandalise ; — bref, nous reprocher brutalement en face nos défauts ou nos ridicules ?
L’obligation de croire est mieux prouvée dans les ridicules paroles de Sganarelle que dans plus d’un sermon : DON JUAN Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. […] Il s’est moqué de chaque secte dans ce qu’elle offrait à ses yeux de ridicule ; et quelques plaisanteries fort comiques sur les principales écoles de philosophie sont tout ce qu’on peut tirer de lui là-dessus795. […] On l’a déjà dit799 : l’homme qui fuit le vice uniquement par crainte des moqueries d’autrui, tombe dans le défaut de l’amour-propre, et sa vertu n’est qu’une hypocrisie : il est impossible d’admettre que le ridicule puisse servir d’une manière quelconque à sanctionner la morale, ni que des gens vertueux par amour propre soient des honnêtes gens. […] Et il prétend justifier à la fin sa comédie si pleine de blasphèmes, à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine. » Que dire à cela ?