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71. (1881) Molière et le Misanthrope pp. 1-83

Il n’y a point de caractère tragique dans Molière. […] En définitive, Alceste n’est la copie d’aucun personnage historique ; il est un caractère, un type. […] C’est, si l’on veut, la plus haute vertu qui soit : mais c’est bien le plus intraitable caractère ! […] c’est que son caractère le porte invinciblement à embrunir tout, à exagérer tout : et l’exagération du vrai, c’est déjà le faux. […] Cela s’ensuit admirablement de son caractère, ennemi de toute fiction : mais pour être logique, il n’en devient pas plus sensé.

72. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Nous avons foi, nous Français, dans l’un et dans l’autre de ces principes, et armés de ce double instrument de critique, nous ouvrons le premier théâtre comique venu, le théâtre d’Alfred de Musset, je suppose, et nous raisonnons ainsi : un poète comique peut paraître derrière ses personnages de deux manières : soit en faisant une allusion complaisante à lui-même, à sa vie, à son caractère, à ses goûts, soit en déployant avec coquetterie les grâces de son imagination et de son esprit. […] Mais vous avez tort de tirer de ce sentiment si juste des propositions universelles et des règles absolues sur le caractère nécessaire du génie comique, et sur l’essence éternelle de la comédie. […] Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier.

73. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Ajoutons ce qui est plus important à constater pour les rapprochements que nous aurons à faire, c’est que, dans de telles pièces, l’action est presque tout ; on compte peu sur les discours pour dessiner les caractères, pour traduire les mouvements de l’âme. […] Parfois ces noms semblent indiquer aussi une nuance du caractère : parmi les nombreux capitans que Callot a dessinés dans ses Balli di Sfessania, il faut distinguer le capitaine Cerimonia, qui fait songer à l’Alcidas du Mariage forcé 6. […] Arlecchino, de même, ressemble beaucoup au type populaire que l’on connaît, au moins pour la balourdise éveillée et malicieuse de son caractère. […] Une actrice, nommée Antonella Bajardi, jouait des rôles de caractère sous le nom de Vittoria.

74. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XII. Réflexions Générales. » pp. 241-265

Quand même ce plaisir ne serait pas universellement blâmable, et quand même telles et telles personnes pourraient y assister sans danger, l’Église, par son caractère de catholicité, c’est-à-dire d’universalité, a des règles disciplinaires très-générales, et défend l’usage de ce qui est généralement mauvais, sans entrer dans le détail des circonstances où l’inconvénient peut disparaître832. […] D’ailleurs, sans entrer dans la discussion des textes et des décrets par lesquels elle a condamné généralement la comédie et les comédiens, il est nécessaire de remarquer quelle n’a jamais vu là ni une question de dogme ni une question de morale proprement dite, mais simplement une question de discipline, qui par là même n’a point un caractère absolu, puisque l’Église a souvent modifié sa discipline suivant les temps et les pays. […] Vouloir que les divertissements soient essentiellement instructifs et moraux est une utopie : c’est leur ôter le caractère même de divertissements. […] Ce qui peut être innocent aux champs prend souvent dans les grandes cités, par la surexcitation de l’intelligence et des sens, un caractère funeste, aussi bien que le jeu, aussi bien que le verre de vin bu. librement entre amis. […] La Bruyère, les Caractères, des Ouvrages de l’esprit, XXXVIII.

75. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

Ils manquaient de mœurs, de caractères, et de préceptes. […] Ces pièces ne laissent pas d’être fort plaisantes et pleines d’esprit, témoin Le Menteur, dont nous parlons, Dom Bertrand de Cigarral, Le Geôlier de soi-même ; mais enfin la plus grande beauté de la comédie était inconnue ; on ne songeait point aux mœurs, aux caractères ; on allait chercher bien loin les sujets de rire dans des événements imaginés avec beaucoup de peine, et on ne s’avisait point de les aller prendre dans le cœur humain qui en fourmille. […] Les caractères de celle-là ne les touchaient pas aussi vivement que ceux de l’autre. […] Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes. […] Mais nous ignorons le nom de l’acteur qui prit ce caractère, et le temps qu’il parut au théâtre.

76. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Aux quinzième et seizième siècles, la comédie improvisée devint un art très savant qui lutte avec la comédie régulière, qui crée plus que celle-ci des caractères durables, qui laisse dans l’imagination des peuples une trace plus profonde, et qui se vulgarise et se popularise dans toute l’Europe. […] Chacun pouvait se faire un fonds plus ou moins riche de traits conformes à son caractère. […] Il nous paraît bien représenter le type dans son caractère général : il a dans son vêtement l’ampleur que Pierrot a conservée jusqu’à nos jours ; il porte le sabre de bois qui resta propre à Arlequin ; il est coiffé du chapeau souple, susceptible de revêtir les formes les plus étranges, rendu célèbre notamment par le fameux pitre Tabarin.

77. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

. — L’indignation de La Bruyère sur les clefs des Caractères. […] Un poète qui peint des caractères fait comme le peintre de paysage : il emprunte des détails partout où il en trouve qui rient à son imagination et conviennent à ses vues ; il les rapproche, il les sépare de manière à en tirer des effets. […] Dans la clef qu’on a donnée des Caractères de La Bruyère, sur cent noms propres, il s’en trouve quatre-vingts dont l’auteur n’a jamais entendu parler.

78. (1696) Molière (Les Hommes illustres) « JEAN-BAPTISTE POQUELIN. DE MOLIERE. » pp. 79-80

Jusques-là il y avait eu de l’esprit et de la plaisanterie dans nos Comédies, mais il y ajouta une grande naïveté avec des Images si vives des mœurs de son siècle, et des Caractères si bien marqués, que les Représentations semblaient moins être des Comédies que la vérité même, chacun s’y reconnaissait et plus encore son voisin, dont on est plus aise de voir les défauts que les siens propres. […] Il a aussi entendu admirablement les habits des Acteurs en leur donnant leur véritable caractère, et il a eu encore le don de leur distribuer si bien les Personnages et de les instruire ensuite si parfaitement qu’ils semblaient moins des Acteurs de Comédie que les vraies Personnes qu’ils représentaient.

79. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Molière ne pouvait manquer d’en avoir rencontré dans ses courses ; et la comtesse d’Escarbagnas était certainement un type de caractère comique, qu’il avait depuis longtemps en réserve dans l’esprit, avant de le faire figurer sur la scène. […] Sur le titre seul, on avait jugé que le fond était trop stérile pour qu’il pût en sortir autre chose qu’un ouvrage languissant et froid, où le défaut d’action entraînerait l’abus du dialogue, et où quelques portraits satiriques tiendraient lieu de caractères. […] Cette différence de conduite et de sentiments, dans une situation presque semblable, provient tout naturellement de la différence des états, des esprits et des caractères. […] Bonnefoi, notaire prévaricateur, et méritant un châtiment légal, est un personnage étranger à l’état actuel de la société, ou, pour mieux dire, privé de ce caractère de vérité générale qui convient à la comédie de mœurs. […] Ce sont bien là, comme on voit, les personnages mêmes de Molière : c’est Argan en cornette ; c’est Béline, Angélique et Toinette, les deux premières différemment qualifiées, mais ayant toutes, trois des caractères et des intérêts semblables.

80. (1706) Lettre critique sur le livre intitulé La vie de M. de Molière pp. 3-44

Voilà un sentiment qui me paraît outré ; car je ne vois pas même que Molière ait jamais mieux représenté le Bourgeois Gentilhomme et Pourceaugnac, que Poisson les représente ; qu’il ait mieux soutenu le caractère du Misanthrope, que Beaubourg et Dancour le font valoir ; plus délicatement grimacé que la Toreillière, et ainsi des autres. […] Par quel endroit Chapelle faisait-il donc plaisir à Molière, puisqu’il ne pouvait s’accommoder de son caractère ? […] Il fait beau voir cet homme grave envoyer chercher le chapeau de Rohaut son ami, pour représenter le Philosophe dans le Bourgeois Gentilhomme ; cela est plat, et d’un mauvais caractère. […] Nous voyons représenter tous les jours les Pièces de Molière, et nous aurions été ravis de connaître les modèles de ses caractères, les motifs qui l’ont fait travailler, et le succès de ses Pièces dans le temps.

81. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

« L’inimitable Monsieur Dominique, dit son successeur Gherardi, a porté si loin l’excellence du naïf du caractère d’Arlequin, que les Italiens appellent goffagine, que quiconque l’a vu jouer trouvera toujours quelque chose à redire aux plus fameux Arlequins de son temps. » L’inimitable, c’est l’épithète attachée à son nom : « Qui ramènera, dit Palaprat dans la préface de ses œuvres, qui ramènera les merveilles de l’inimitable Domenico, les charmes de la nature jouant elle-même à visage découvert sous le visage de Scaramouche ?  […] Depuis ce temps-là jusqu’à la mort de ce rare acteur, M. de Harlay le reçut toujours chez lui avec une estime et une distinction particulière ; le monde, qui le sut prétendait qu’Arlequin le dressait aux mimes, et qu’il était plus savant que le magistrat ; mais que celui-ci était aussi bien meilleur comédien que Dominique. » Dominique modifia très sensiblement le caractère d’Arlequin. […] Dominique, le confirmèrent dans son opinion, et nous voyons la forme qu’ils donnèrent au caractère d’Arlequin, qui est bien différente de l’ancienne… Depuis lors, le caractère d’Arlequin est devenu l’effort de l’art et de l’esprit du théâtre.

82. (1801) Moliérana « Vie de Molière »

Les caractères sont inimitables, et le jeu des personnages subalternes sont autant de coups de maître. […] Copie du langage et du caractère des conversations ordinaires des personnes du monde. […] L’hypocrisie y est parfaitement dévoilée, les caractères en sont aussi variés que vrais, le dialogue également fin et naturel.

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