On ne peut prétendre que Molière soit impartial entre Alceste et Philinte, et qu’il se borne à représenter les hommes tels qu’ils sont avec leurs travers, leurs maximes et leurs excès opposés. Evidemment il penche pour Philinte, ce n’est pas Alceste, c’est Philinte qui est son sage. […] Mais Molière ne lui donne-t-il jamais raison que contre les travers et les ridicules réels d’Alceste ? J’accorde qu’Alceste est un peu bourru à l’égard des petits vers d’Oronte ; mais que penser de Philinte qui, intérieurement, juge, comme Alceste, qu’ils sont bons à mettre au cabinet, et qui cependant prodigue les expressions de l’admiration et de l’enthousiasme, et proteste qu’il ne flatte point : Je suis déjà charmé de ce petit morceau…. […] Blâmerons-nous, avec lui, Alceste de ne vouloir qu’aucun juge soit par lui visité, et de s’en fier exclusivement à son bon droit et à l’équité ?
Le désert serait un paradis pour Alceste, si Célimène voulait l’y suivre. […] Le cœur d’Alceste est un trésor encore vierge que le monde n’a pas entamé. […] Alceste et Hamlet sont deux créations presque également fortes et riches. […] Alceste n’est pas chrétien. […] Il y a dans le rôle d’Alceste une protestation cachée.
On sent une joie sincère à voir Eliante, par sa grâce sereine, apporter à la rude vertu d’Alceste cet adoucissement de la vraie politesse, qui n’est autre que la fleur de la charité. […] oui, Alceste est maladroit, même brutal, dans sa façon trop franche de faire la leçon aux autres. […] La vertu d’Alceste est intacte et respectée au milieu de tout le rire soulevé par ses ridicules ; et moi-même’, simple et faible spectateur, l’auteur me force par un coup de génie à faire nettement celte distinction qu’Alceste ignore, du mal même que je hais, et de l’homme, qui peut en être atteint jusque dans la plus haute vertu, et que j’aime pourtant, pour sa vertu et pour lui. […] Oui, on voudrait voir partout la sincérité et la vertu d’Alceste, avec plus d’indulgence et moins d’orgueil. […] Le Festin de Pierre, don Juan ; le Misanthrope, Alceste.
Je ne connais point, pour ma part, « d’exécution » plus cruelle et plus impitoyable que celle du sonnet d’Oronte par Alceste. […] Alceste dira la vérité, toute la vérité, coûte que coûte, et à tout venant. […] C’est que cet Alceste dont Molière comprend, admire, partage l’Idéal, a méconnu les nécessités terrestres et positives. […] Cette nécessité absolue, il la proclamait en rendant Alceste ridicule et la déplorait en nous le faisant aimer. […] Que voulait Alceste ?
Les devanciers d’Alceste. […] Pourquoi rit-on d’Alceste ? […] Alceste. […] Alceste. […] Alceste.
L’énigme d’Alceste. […] Alceste janséniste ! Mais Molière, vous le reconnaissez, s’est, en maints endroits et par plusieurs points, personnifié dans Alceste. […] Alceste n’est point une énigme. […] Voir plus loin le chapitre intitulé : L’Énigme d’Alceste.
La première scène du premier acte, où Alceste développe son caractère avec son ami, qui en a un totalement opposé ; la deuxième, où Oronte lui vient lire un sonnet, sont d’un excellent comique et d’une vérité sublime. La première scène du deuxième acte, où Alceste est en opposition avec la coquette Célimène ; la cinquième, où tous ces marquis,et Célimène surtout, médisent de toute la terre devant le misanthrope, sont superbes. La scène cinquième du troisième acte, dans laquelle la prude Arsinoé vient donner des avis à la coquette Célimène, qui les lui rend avec tout l’esprit imaginable ; la septième, dans laquelle Arsinoé allume la jalousie d’Alceste, après l’avoir loué malgré lui ; là scène troisième du quatrième acte, de fureur et de rage de la part d’Alceste, de finesse et de coquetterie de la part de Célimène, qui s’apaise tant qu’Alceste est en colère, qui se fâche dès qu’Alceste s’apaise ; la première scène du cinquième acte., où Alceste, après avoir perdu son procès, veut renoncer à la nature entière et s’enfuir dans les bois ; le dénouement enfin : voilà les beautés principales d’un ouvrage dans lequel il n’y a pas un vers qui n’ait rapport au caractère principal.
C’est d’abord cette jeune veuve, la belle Célimène, De qui… l’humeur coquette et l’esprit médisant Semblent si fort donner dans les mœurs d’à-présent dit Philinte à Alceste, et dont Alceste dit à son tour : J’ai beau voir ses défauts et j’ai beau l’en blâmer, En dépit qu’on en ait elle se fait aimer. […] Avec quelle finesse elle se raille de tous ses adorateurs et d’Alceste lui-même qu’elle semble cependant préférer ! […] Un instant, on peut croire à un mouvement sincère de repentir et de tendresse, quand, à la fin du cinquième acte, elle dit à Alceste, qui seul ne l’accable pas de reproche : Je sais combien je dois vous paraître coupable, Que toute chose dit que j’ai pu vous trahir, Et qu’enfin vous avez sujet de me haïr. […] s’écrie ce pauvre Alceste. […] Je le croirais volontiers à la manière généreuse avec laquelle il la traite, la parant de toutes les grâces et ménageant si délicatement le côté odieux de son caractère, comme aussi à ces paroles si touchantes qu’il lui adresse par la bouche d’Alceste : Défendez-vous au moins d’un crime qui m’accable, Et cessez d’affecter d’être envers moi coupable.
Eliante pourrait, ce semble, accepter les hommages d’Alceste sans déloyauté à l’égard de Philinte : non, elle s’expliquera nettement avec l’un comme avec l’autre, et sa sincérité fera mieux ressortir la duplicité de son habile cousine ; elle dira d’Alceste à Philinte : Pour moi, je n’en fais point de façon, et je croi Qu’on doit sur de tels points être de bonne foi : Je pourrois me résoudre à recevoir ses feux475. […] Ce n’était pas seulement, on le répète, son goût, c’était son cœur sincère qui s’indignait avec Alceste contre le sonnet d’Oronte, et préférait hautement la chanson de ma mie et du roi Henri À ces quolifichets dont le bon sens murmure. […] Quel triste et vrai ridicule versé sur Sganarelle, sur Arnolphe ; sur Harpagon, sur Alceste lui-même ! […] Dans le Misanthrope, les grandes scènes des actes 111 et V peuvent contenir quelque chose de personnel à Molière, qui faisait Alceste, tandis que sa femme, qu’il ne voyait plus qu’au théâtre, jouait Célimène. […] Alceste s’use à vouloir aimer Célimène (le Misanthrope, act.
Il condamne en définitive Alceste : mais il n’a pas laissé de mettre dans Alceste beaucoup de lui et de ce qu’il avait de meilleur. […] Alceste a vingt-cinq ans et Philinte trente-cinq. Philinte est ce qu’il est très possible qu’Alceste devienne, Alceste est ce qu’a été Philinte dix ans plus tôt. […] Philinte a été méchant, comme Alceste, ou, comme Alceste, il n’a pas été très bon. […] Il taquine Alceste et il ironise Oronte.
Voyez les scènes des amants dans le Dépit amoureux, premier élan de son génie; dans le Misanthrope, entendez Alceste s’écrier: Ah! […] Est-ce la vertu d’Alceste, ou sa mauvaise humeur si mal placée, et son amour si mal entendu pour la vérité ? […] Qu’importe à la morale d’Alceste que le sonnet d’Oronte soit bon ou mauvais ? […] Je veux encore qu’Alceste, entraîné par sa franchise, se soit expliqué naïvement sur le sonnet d’Oronte, et qu’il ait cru que la vérité ne l’offenserait pas. […] Alceste avait satisfait à ce qu’il croyait son devoir, il avait déclaré sa pensée.
Le jour où Molière peignit les jalousies d’Alceste, il souffrait d’un mal dont plusieurs souffraient avec lai, et, depuis deux cents ans, aucun de ceux qui ont aimé comme Alceste n’a entendu sans émotion ses reproches à Célimène. […] Mais ce n’est pas Cléante qu’il faut opposer à Tartufe, c’est Alceste. […] Alceste nous révèle un idéal nouveau et qui est d’un autre ordre de grandeur que celui de l’honnête homme des salons du temps. […] Alceste n’est pas chrétien. […] En mettant sur la scène son Alceste, qui est bien décidé à n’être fidèle qu’à sa conscience, il rend hommage à une pensée plus haute.