La pièce est d’un bout à l’autre, à peu près dans le style des satires de Despréaux, et c’est de toutes les pièces de Molière la plus fortement écrite. […] M. Despréaux dans son Lutrin *, s’appelait Didier l’Amour. […] M. Despréaux ne pensait pas fort avantageusement de la comédie d’Amphitryon de Molière ; mais cette décision ne trouvera pas beaucoup de partisans. […] M. Despréaux ne le goûtait que médiocrement. […] Despréaux, après avoir vu la troisième, soutint à Racine, qui n’était point fâché du danger où la réputation de Molière semblait être exposée, que cette comédie aurait bientôt un succès des plus éclatants.
Boileau.
Lamoignon était d’ailleurs le modèle des magistrats, le protecteur des lettres ; ami de Boileau, il avait droit aux respects de Molière, et si le premier président défendit le Tartuffe, il céda moins sans doute à sa conviction personnelle qu’à ces cris impérieux d’une cabale que les hommes publics sont trop souvent exposés à prendre pour l’expression de l’opinion générale. […] Horace et Virgile, en célébrant les bienfaits de la vieillesse d’Auguste, ont jeté un voile de gloire sur les forfaits de la jeunesse d’Octave, de même que Molière et Despréaux ont élevé la renommée du jeune monarque, protecteur des lettres et vainqueur de l’étranger, au-dessus des faiblesses du vieux roi ordonnant les dragonnades, et tournant, à la voix d’un prêtre, le fer de ses soldats contre la conscience de ses sujets. […] Le poète de la raison et du goût, Despréaux, était l’admirateur du génie de Molière ; il le proclamait dans ses vers, il le répétait à la cour. […] Les arrêts de Boileau faisaient loi au Parnasse ; et la seule autorité de sa raison suffisait pour mettre au néant cette nuée de méchants rimeurs, véritables insectes qui bourdonnent autour du talent, et qui réussissent trop souvent à le décourager. Mais, il faut le dire à la gloire du grand siècle littéraire, tous les hommes supérieurs surent se connaître et s’apprécier : Corneille, Racine, Molière, Boileau, La Fontaine, se sont mutuellement jugés comme la postérité les juge, et les noires atteintes de l’envie n’ont jamais troublé cette noble et poétique union formée par l’estime et cimentée par l’amitié.
Mais le cynique a lu Boileau et ne reconnaît pas l’auteur du Misanthrope « dans le sac ridicule où Scapin l’enveloppe ». […] Il y discréditait Quinault à l’aide de Despréaux. […] Lorsque le public ne se laissait pas encore aller sans hésitation au comique de L’Avare, on a vu Racine reprocher à Despréaux d’avoir ri ouvertement sur le théâtre où, selon lui, Despréaux était seul à rire. […] Racine a vaincu Despréaux dans sa propre science. […] Galimatias, c’est une expression favorite de Boileau.
parcourez notre Théâtre moderne, vous ne verrez que trop Fontenelle, Boileau, la Bruyere & Prévost sur la scene.
Ce ne fut pas seulement la mort de Molière qui marqua un terme à la protection que les lettres donnaient à la société licencieuse contre la société d’élite ; l’esprit satirique de Boileau, la courtoisie de Racine, la licence de La Fontaine, s’arrêtèrent en même temps devant les progrès de cette société : comme ces progrès atteignaient la cour elle-même, nos poètes virent que le temps était venu de prendre un autre ton, une autre direction, et ils furent plusieurs années à contempler en silence le changement qui s’opérait.
Quant aux réduits et aux cellules, qui sont aujourd’hui représentés par nos boudoirs, Boileau en a parlé deux fois ; la première dans L’Art poétique : Ne vous enivrez pas des éloges flatteurs Qu’un amas quelquefois de vains admirateurs Vous donne en ces réduits, prompts à crier : Merveille ! […] « C’était, à tout prendre, comme l’a dit Boileau, une fille qui avait beaucoup de mérite, et passait pour avoir encore plus d’honneur et de probité que d’esprit. » Un certain mérite est toujours nécessaire à qui veut être à la tête d’un parti ; et, après tout, le ridicule de la préciosité n’était pas ignoble. […] L’estime de Boileau pour mademoiselle de Scudéry ne l’avait pas empêché de parodier ses écrits dans ses héros de roman.
. — Boileau, La Bruyère, Bayle, Fénelon, Vauvenargues sont les pédants ; les tartufes s’appellent Racine, Bourdaloue, Bossuet et Jean-Jacques Rousseau. […] Ainsi Molière est donc non seulement parisien, mais bourgeois de Paris, et l’on doit le rapprocher non pas de Rutebeuf ou de Villon, pauvres hères, mais bien de Boileau, de Voltaire, ou de Regnard. […] Et c’est ici qu’il faut distinguer ses pièces, mettant à part les grosses farces qu’il a faites pour le peuple, et qu’on a tant reproché à Boileau d’avoir condamnées, et les séparant des comédies en lesquelles Molière mettait toutes ses complaisances : le Misanthrope, Tartufe et les autres. […] Corneille, Mme de Sévigné, Boileau, Bossuet, Racine nous étonnent souvent par le peu de soin qu’ils prennent de suivre leurs métaphores. […] Ainsi Boileau n’a rien écrit de mieux que certains vers de son Lutrin, où les sentiments qu’il prête à ses personnages, n’ayant rien que d’assez vulgaire, trouvent leur expression accomplie dans sa langue de tous les jours, au vocabulaire, au timbre, à l’accent de laquelle il était fait dès l’enfance.
répliqua Boileau ; quoi ! […] » Boileau n’entendait pas ce que voulait dire Molière. […] Une tradition veut qu’il ait surtout accepté cette invitation chez Ninon parce qu’il y devait rencontrer Boileau, et que Boileau lui avait promis de travailler avec lui au latin macaronique de la cérémonie du Malade imaginaire. […] Le latin macaronique, où s’amusait l’auteur du Malade imaginaire, en compagnie de Boileau et de La Fontaine, témoigne de la science que possédait le traducteur de Lucrèce. […] Dans la satire que Cotin composa contre Boileau pour le pâtissier Mignot, l’empoisonneur le plus habile du monde, au dire de Despréaux, l’abbé se laissa aller à traiter Molière de Turlupin « jouant du nez et faisant des grimaces pour servir de compère au bateleur Despréaux ».
Dans ce conflit peu étonnant de diverses opinions, Boileau se déclare aussitôt le défenseur de la pièce, par des stances adressées à Molière : il la loue sans restriction, et en déprime tous les censeurs sans exception.
Molière pouvait aussi bien devenir le maître de la délicatesse et du bon goût que du bon sens, à l’époque où Boileau proclamait Que le lecteur françois veut être respecté617. […] Boileau, Satire X, v. 141.