Il a reçu le contrecoup du premier coup de canon qui se soit tiré dans ce bas monde, il a lu le premier livre sorti des presses naissantes du premier imprimeur, il a mangé le premier fruit venu de l’Amérique, il s’est élevé aux écoles de René Descartes et de Despréaux ; il a vu Bossuet face à face, il a souri le premier, aux doctes murmures de Pierre Basyle, il a pleuré, le premier, aux vers du grand Corneille. […] Car voilà, ceci soit dit à notre louange à tous, la toute-puissance de la critique moderne, le voilà le mur de séparation qu’elle a élevé entre elle et la rigoureuse école de l’abbé Desfontaines, de Fréron et de M. de La Harpe ; elle a montré que l’admiration et la sympathie étaient au premier rang de ses droits et de ses devoirs ; elle ne s’est plus contentée, comme autrefois, de relever les erreurs, les fautes, les défauts, les impuissances, elle s’est attachée aux grâces, aux beautés, aux promesses que fait le présent à l’avenir ! […] Les jeunes gens se hâtaient pour en conserver la mémoire ; les vieillards venaient chercher à ses pieds quelques souvenirs de ces belles traditions par lesquelles mademoiselle Mars se rattachait à Préville, à Molé, à Fleury, à Saint-Prix, à la grande Contat, à la grande comédie ; les deux écoles dramatiques (mademoiselle Mars, pareille aux Sabines, a assisté à ce combat des Romains et des peuples sabins, combat dans lequel les Romains furent vaincus) appelaient à leur aide, chacune de son côté, cette force irrésistible… Soudain tout ce mouvement s’arrête, et tout ce bruit fait silence… Mademoiselle Mars n’est plus au théâtre, tout est dit.
Quoi qu’il en soit, cette troupe qui fut l’école de Moliere, ne remplit pas le titre pompeux qu’elle avoit pris en se nommant l’Illustre Theatre. […] Mais il n’en connut que mieux le goût du temps : il s’y accommoda entierement dans l’Ecole des Maris, qu’il donna le 24. de Juin 1661. […] Ce ne fut que le lendemain de Noël de l’an 1662. qu’il fit représenter pour la premiere fois L’Ecole des Femmes. […] On excita Moliere à joindre à l’Edition de l’Ecole des Femmes une Preface où il repondroit à ces Censeurs & rendroit compte de son Ouvrage. […] & qu’il dedia à la Reine Mere, sous le titre de la Critique de l’Ecole des Femmes.
On le destinoit au Barreau ; mais au sortir des Ecoles de Droit il choisit la profession de Comedien, par l’invincible penchant qu’il se sentoit pour la Comedie, toute son étude & son application ne furent que pour le theatre.
Je suppose présentement que nous ne connoissions pas l’Ecole des Maris, & qu’on la joue pour la premiere fois ; gageons que nos femmes les plus décidées, mais très exactes sur les bienséances, trouveront les fourberies qu’Isabelle fait à son tuteur indécentes chez une Demoiselle bien née.
L’Ecole des Meres est encore calquée sur un canevas italien intitulé, Il Padre di Famiglia, le Pere de Famille.
De même, les haines privées de l’auteur de La Critique de l’École des Femmes, de Tartuffe, de Don Juan, ont leur écho dans ces pièces, et leur donnent par la sincérité, par la violence même des accents, une forte impression de vérité et de réalisme.
À ces causes s’en joignait une autre encore plus pressante, c’était l’émulation établie entre les sexes par leur mélange dans les sociétés particulières, depuis que Louis XII et Anne de Bretagne avaient relevé les femmes de cette infériorité qui subsiste encore en Angleterre et en Allemagne ; émulation de mérite et de vertu pour les nobles héritières des traditions d’Anne de Bretagne ; émulation de galanterie pour les élèves de l’école de François trop bien soutenue par ses successeurs.
Tous les personnages de l’Ecole des maris sont des bourgeois : Sganarelle, Ariste, Isabelle, Léonor, Valere, peuvent fort bien s’entretenir dans les rues de Paris, & y avoir de légers démêlés, sans blesser leur rang & la vraisemblance ; mais il est très peu naturel qu’Amphitrion, un Général d’armée, ait, dans une rue, avec sa femme une explication aussi vive, aussi sérieuse, aussi délicate & aussi longue que celle qui suit.
Je prends mon exemple dans l’Ecole des Femmes de Moliere.
Tout le monde connoît l’Ecole des Maris, & la belle scene du second acte.
. — C’est que de toutes ces pièces, même des meilleures, même de celles qui se passeraient le moins malaisément de secours étrangers, Molière eût dit volontiers ce qu’il disait de l’Amour médecin, dans son Avis au lecteur : « Il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. » Cependant, à ses moments perdus, ce fournisseur de Sa Majesté composait pour lui-même et pour le vulgaire quelques autres pièces, comme l’École des femmes, Don Juan, le Misanthrope, Tartufe (dont les trois premiers actes, il est vrai, furent d’abord essayés à Versailles quelques jours après le divertissement de l’île enchantée), enfin les Femmes savantes.