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74. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Aujourd’hui Racine ne mettrait pas dans la bouche d’un jeune prince déclarant son amour à une captive, cette humilité religieuse : Peut-être le récit d’un amour si sauvage Vous fait, en m’écoutant, rougir de votre ouvrage ; D’un cœur qui s’offre à vous, quel farouche entretient Quel étrange captif pour un si beau lien !

75. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

« La nation est vraiment comédienne, disait encore le président de Brosses en 1740 ; même parmi les gens du monde, dans la conversation, il y a un feu qui ne se trouve pas chez nous qui passons pour être si vifs. » Ajoutez que dans l’Italie catholique la profession du théâtre fut sans contredit plus considérée qu’en aucun pays du monde ; les princes et les cardinaux témoignaient pour cet art une admiration sans scrupules.

76. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Mais, ajoute Voltaire, les connaisseurs rendirent bientôt à Molière les suffrages de la ville, et un mot du roi lui donna ceux de la cour. » Le suffrage du roi, qui explique très bien celui de la cour, et celui des connaisseurs de la ville, s’explique très clairement lui-même par l’intérêt qu’avait le prince à diminuer la considération des sociétés graves, de mœurs honnêtes, d’occupations nobles, à rendre ridicules les censeurs de ses désordres ; et c’est ce que Molière entreprit dans sa comédie des Femmes savantes, où il représente tout savoir dans les femmes comme une méprisable pédanterie, et toute critique, ou toute censure exercée de fait sur les opinions et les mœurs de la cour, comme une insolence digne de châtiment.

77. (1884) Tartuffe pp. 2-78

L’intervention du roi, cette suprême adresse de l’auteur, n’est nécessaire, en effet, dans la pièce que si Tartuffe est un scélérat, un fourbe renommé Dont sous un autre nom, le prince est informé, et si ce fourbe a la maladresse, en livrant la cassette d’Arcas, de s’aller lui-même exposer au regard ennemi de la fraude. […] Le livre du prince‌ 16, paru après sa mort (1666) courait manuscrit auparavant ; s’il ne s’attaque pas à Tartuffe, pas encore joué, il prend à partie l’Ecole des femmes et surtout le Festin de Pierre, école d’athéisme, « où après avoir fait dire au maître, qui a beaucoup d’esprit, toutes les impiétés les plus horribles, l’auteur confie la cause de Dieu à un valet, à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ». […] On sent d’ailleurs que le prince les a fort aimés, ces spectacles qu’il condamne, et, pour tout dire, aimés sans grand discernement ; car il affirme que l’amour, avec toutes ses langueurs, ses passions et ses délicatesses, est tout ce qu’on cherche dans les tragédies ; qu’on n’écoute pas le reste ; que dans le Cid, le récit de la bataille est fort ennuyeux ; que dans Cinna on n’admire pas la clémence d’Auguste, mais les tendres choses que Cinna dit à Émilie, etc., etc.

78. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Les admirateurs du génie de Molière ont besoin de chercher des excuses à son Amphitryon, dans son désir immodéré de plaire au prince qui Pavait subjugué par sa gloire et ses bienfaits, da us la corruption générale qui demandait au poète comique de faire rire le public aux dépens des époux malheureux, peut-être même dans l’espèce d’héroïsme auquel le poète avait voulu s’élever en se rangeant du côté des rieurs, lui à qui les désordres de sa femme avaient couté tant de larmes amères.

79. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Le prince se souvint toujours de son compagnon Poquelin ; car c’était le nom de sa famille, nom qu’il quitta de peur de le déshonorer quand il monta sur le théâtre. […] Il aimait mieux être le chef d’une troupe de comédiens que l’humble serviteur d’un prince. […] Louis XIV, qui au fond était un prince médiocre, eut du moins un éclair d’esprit et de goût dans sa jeunesse amoureuse ; il perdit tout avec La Vallière, maîtresse qui valait mieux que lui. […] Quel prince, ainsi loué, n’aurait pas pris la responsabilité d’un ouvrage plus dangereux encore ! […] A la cour de Néron, du reste, où Pétrone fut, à ce que l’on croit, surintendant des plaisirs du prince, les souvenirs de Messaline (je n’ose rappeler les expressions dont Tacite l’a flétrie) influaient sur les mœurs que devait régénérer bientôt le spiritualisme chrétien.

80. (1901) Molière moraliste pp. 3-32

» Et Madelon, dans sa vanité coupable, en arrive à espérer que sa mère a pu devenir la maîtresse de quelque prince charmant : « Je crois que quelque aventure un jour me viendra développer une naissance plus illustre. » Comme nous la comprenons alors, cette fureur de Gorgibus, s’indignant contre la préciosité, le bel esprit, qui ont empoisonné l’âme des deux jeunes filles, et envoyant à tous les diables ces « sottes billevesées, amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes ». […] Dorine a beaucoup d’affection pour son maître, elle l’a connu généreux, capable de servir son prince… Mais il est devenu comme un homme hébété Depuis que de Tartuffe on le voit entêté : Il l’appelle son frère et l’aime dans son âme Cent fois plus qu’il ne fait mère, fils, fille et femme… Tout cela inquiète la servante.

81. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

Mais il est certain qu’on n’en peut juger de cette sorte sans prendre le nœud pour le dénouement ; et si je puis me servir de l’exemple d’Héraclius, tout ce qui se passe avant le quatrième acte ne tient lieu que de préparatifs pour mettre Phocas entre deux princes, dont il sait que l’un est son fils, et l’autre celui de Maurice, sans qu’il puisse connaître lequel des deux est l’ennemi dont il a juré la perte, et c’est ce qui en fait le nœud. […] Les comédiens de Paris, Bien loin d’être contre eux marris, D’entreprendre sur leur pratique, D’un souper ample et magnifique, Ou chacun parut ébaudi, Les régalèrent mercredi*… De l’excellent jus de la treille, On y vida mainte bouteille, On y but des mieux les santés, Des grands princes, et majestés, Et des ministres chasse-guerres, On y cassa plus de cent verres ; Illec, on mangea, ce dit-on, Bien des lapins et du mouton, Avec quantité de volaille ; Et plusieurs, comme rats en paille, Sans être du métier pourtant, Y trinquèrent ma foi d’autant, Exerçant des mieux la mâchoire : Et je collige de l’histoire Que les comédiens d’ici, Ne sont pas gens cosi, cosi ; Mais gens où courtoisie abonde, Et qui savent fort bien leur monde.

82. (1886) Molière : nouvelles controverses sur sa vie et sa famille pp. -131

Ces fonctions mettaient Guichard en relations avec l’abbé Perrin, introducteur des ambassadeurs auprès du duc, ainsi qu’avec Robert Cambert, autrefois surintendant de la musique d’Anne d’Autriche, mère du même prince. […] Ils se connaissaient de longue main, car Guichard était fils d’un des premiers valets de chambre du duc Gaston d’Orléans, et Lulli avait. été élevé par les bontés de la fille de ce prince, Mlle de Montpensier, l’innamorata de Lauzun, celle qu’on appelait la grande Mademoiselle. […] Ils s’appuyaient de plus, en ce qui concernait les acteurs de la troupe royale, sur la volonté du prince à laquelle ces comédiens étaient tenus d’obéir, et qui, dans une certaine mesure, les déchargeait de la responsabilité de leurs actions18. […] Mais, qu’on le remarque bien, cette demi-tolérance, fondée sur un édit royal et sur la volonté du prince, ne faisait point loi pour le clergé : il y avait là une question controversée qui relevait de l’appréciation du. prêtre à qui les comédiens de la troupe du roi demandaient les sacrements. […] Philinte n’est pas un jésuite ; mais c’est l’homme qui a plus ou moins frayé avec tous les partis et qui les a tous servis avec une certaine conscience : il était contre les princes à la première Fronde, avec eux à la seconde.

83. (1914) En lisant Molière : l’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

On peut être agréablement touché, aussi, du double manège, très bien conduit, de la princesse qui, pour se faire aimer du prince, se déclare à lui amoureuse d’un autre et du prince qui, pour amener la princesse à l’amour pour lui, se déclare à elle épris d’une autre beauté ; et cela pourrait très bien s’appeler les Fausses confidences. […] « La qualité l’entête ; on ne le voit jamais sortir du grand seigneur ; dans le brillant commerce il se mêle sans cesse et ne cite jamais que duc, prince ou princesse. » Et l’on voit que dans le Misanthrope, comme il lui est arrivé si souvent, Molière a annoncé une pièce qu’il projetait de faire. […] Le grand monarchiste, le grand étatiste, le grand profiteur à la fois et mainteneur du sens social, voit très bien en Molière un appui du sens social et de la société telle quelle est faite, et il doit se répéter à lui-même : Notre prince n’a pas de sujet plus fidèle. […] N’a-t-il pas ceux qui sont toujours mécontents de la Cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces gens qui pour services ne peuvent compter que des importunités et qui veulent qu’on les récompense d’avoir obsédé le prince dix ans durant ? […] C’est une qualité que j’aime en un monarque : La tendresse du cœur est une grande marque ; Que d’un prince à votre âge on peut tout présumer, Dès qu’on voit que son âme est capable d’aimer.

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