/ 250
127. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. De l’Action, du Nœud, des Incidents. » pp. 165-171

Il faut que ce qui remplit l’intervalle qui est entre l’exposition & la catastrophe, soit en mouvement & non en récit, puisque nous l’appellons action, puisque les personnages de cette action se nomment acteurs & non pas orateurs, puisque ceux qui sont présents s’appellent spectateurs & non pas auditeurs, puisqu’enfin le lieu qui sert aux représentations est connu sous le nom de théâtre & non pas d’auditoire, c’est-à-dire un lieu ou l’on regarde ce qui s’y fait, & non pas où l’on écoute ce qui s’y dit. […] Qu’on fasse voir à l’homme le plus hébêté le cinquieme acte de Rodogune, le quatrieme de Mahomet, le dernier de Sémiramis : il partagera malgré lui la situation des personnages ; il s’intéressera malgré lui aux événements : il frémira en voyant la coupe funeste passer des mains de Cléopatre sur les levres d’Antiochus : son cœur sera déchiré comme celui de Zopire quand Seide portera le coup mortel : Ninias sortant égaré, éperdu, du tombeau où il vient de poignarder sa mere, le fera frissonner & l’obligera à partager son trouble : & cette même Sémiramis qui revient percée de plusieurs coups mortels, lui arrachera des larmes.

128. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIV. On peut faire usage de tous les caracteres. » pp. 378-385

Le meilleur, à mon avis, est de nous familiariser avec les pieces de Moliere, de les analyser, de les méditer ; nous y apprendrons l’art si difficile de mettre en œuvre tous les caracteres, d’apprécier au juste ce que chacun d’eux peut produire, de l’isoler ou de l’associer à un, deux, trois, ou plusieurs autres personnages en conséquence de leur valeur précise, afin que tous puissent produire l’effet dont ils sont capables, sans se nuire mutuellement. […] Tibaudier est un Conseiller précieux, un personnage autant alambiqué dans sa prose que dans ses vers.

129. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVIII. De l’exposition des Caracteres. » pp. 433-447

Une exposition est beaucoup plus facile lorsque le premier personnage n’ouvre pas la scene tout seul. […] Orgon fait l’éloge de Tartufe, de ses vertus, raconte la maniere dont il fit sa connoissance, vante les sentiments que ce dévot personnage lui inspire tous les jours, & se félicite de l’avoir retiré chez lui, parceque tout semble y prospérer depuis ce temps-là. […] D’accord : elles font grand plaisir, je le sais bien ; je sais aussi qu’elles en feroient davantage si leurs beautés tenoient au sujet & au personnage que le titre nous promet.

130. (1881) La philosophie de Molière (Revue des deux mondes) pp. 323-362

C’est un personnage plein de poésie, mais qui représente la poésie du mal. […] Ce qui fait l’originalité du personnage, n’était-ce pas précisément ce mélange du libertinage de l’esprit et du libertinage des mœurs dans une même âme ? […] Les Ariste sont des personnages fort secondaires dans son théâtre, et il est rare, même lorsqu’ils les introduit sur la scène, qu’ils plaident la cause du bon sens par des arguments théoriques. […] » Souvent aussi, en confiant à un de ses personnages le rôle du bon sens, il a soin d’y mêler des travers ou des ridicules, comme cela a lieu dans la réalité. […] Un instant de pitié pour un misérable et le plaisir de braver encore Dieu dans la charité même n’ont rien de contraire au caractère général du personnage.

131. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le tableau des « farceurs, » où sa stature, en tenant compte de la perspective, est sensiblement inférieure à celle des autres personnages. […] Dans sa conduite avec ses ennemis, ses rivaux, ses protecteurs, les grands personnages, le roi, on voit un homme très honnête, très droit, mais très souple et très avisé. […] Le chœur, le prologue, quelque personnage secondaire était jadis l’interprète de leur philosophie ; les comiques modernes ont les raisonneurs, dont tous ont usé, quelques-uns abusé. […] mademoiselle, répond Molière avec une ironie transparente, vous le jouerez mieux que vous ne pensez -et c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. […] Nous avons peu de renseignements sur cet abbé Bernard, et c’est regrettable, car le personnage devait être intéressant.

132. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE V.*. Destouches imitateur, comparé à Moliere, Plaute, Regnard, Shakespeare, &c. » pp. 185-218

Qu’on se rappelle le personnage de M.  […] Les principaux personnages de la Nouvelle & de la Comédie comparés. […] Mais, dans la comédie, le personnage fait pour intéresser est déja amoureux de Julie lorsque son ami le prie de feindre auprès d’elle. […] S’il a dessein de séduire Julie, il est un scélérat ; s’il croit la trouver insensible à sa flamme, il est plus fou que Léandre de s’exposer à voir croître son tourment, & c’est lui qui devroit être le personnage joué & méprisé de la piece. […] Il falloit mettre à sa place un personnage qui réunît en quelque sorte le double intérêt d’amant & de mari, comme tous les Tuteurs de Moliere, & qui, en perdant une maîtresse infidelle, perdît au moins une somme considérable pour prix de sa curiosité, supposée impertinente par l’Auteur.

133. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. Regnard imitateur de Moliere. » pp. 51-80

Nous voyons dans ces deux couplets les mêmes mots, les mêmes idées ; les deux personnages y ont les mêmes prétentions, les mêmes fatuités ; tous les deux vantent la beauté de leurs dents, de leur jambe, la finesse de leur taille, la délicatesse de leur goût & de leur esprit, leur talent singulier pour séduire les femmes ; tous les deux concluent qu’avec leur mérite on peut être content de soi dans tous les pays. […]   Dans ces deux dénouements une fausse nouvelle fait rompre un mariage mal assorti pour en cimenter un autre desiré par la plupart des personnages. […] Nous dirons donc en passant seulement que dans Moliere la fausse nouvelle est apportée par un homme qui tient à l’action, & dans Regnard par un personnage de nulle consistance ; que chez Moliere elle sert à faire ressortir les principaux personnages, & chez Regnard à les mettre en contradiction avec eux-mêmes.

134. (1852) Molière — La Fontaine (Histoire de la littérature française, livre V, chap. I) pp. 333-352

L’éternel attrait des pièces de Molière, c’est que l’auteur ne s’y montre pas, c’est que nous ne voyons que ses personnages, et dans ses personnages l’humanité tout entière. […] L’apologue de La Fontaine tient à l’épopée par le récit, au genre descriptif par les tableaux, au drame par le jeu des personnages et la peinture des caractères, à la poésie gnomique par les préceptes. […] Lorsqu’il fait parler ses personnages, il sait, à propos, se montrer incisif et véhément.

135. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IV. Jugement sur les Hommes de Molière. » pp. 65-82

  Et qu’on ne dise pas que Molière s’est laissé aller à cette indulgence dans les débuts de sa carrière, aveuglé par l’exemple de ses prédécesseurs et de ses contemporains, entraîné par la nécessité de nourrir sa troupe et de faire rire à tout prix : c’est en 1669, quand il a donné le Misanthrope, le Tartuffe, l’Avare, après Amphitryon, que l’imitation antique peut excuser un peu ; c’est enfin quand il est maître et roi de la scène, qu’il joue devant le roi la désopilante farce de M. de Pourceaugnac, chef-d’œuvre comique où, par malheur, les deux personnages intéressants, spirituels, actifs, les deux chevilles ouvrières de la pièce, sont la Nérine et le Sbrigani, qui se font réciproquement sur la scène cette apologie digne des cours d’assises : NÉRINE Voilà un illustre. […] Sans doute ; et ce qu’il y a d’immoral dans tous ces personnages, ce n’est pas tant leur conduite, évidemment condamnable et condamnée par tout homme de sens froid, que le charme comique par lequel Molière sait atténuer ce sens chez le spectateur. […] — « Le personnage de Sganarelle est trop souvent invraisemblable pour offrir toujours de l’intérêt, trop souvent bouffon pour être toujours comique.

136. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VI. Baron, imitateur, comparé à Moliere, à Cicognini, à Térence, &c. » pp. 219-261

Baron, non content d’affoiblir la plus belle situation en substituant la mere de l’amante à l’amante même, acheve de gâter par ses personnages le sujet traité par Moliere & Cicognini. […] Nous avons remarqué dans le premier volume de cet ouvrage, Chapitre VII, de l’Exposition, que Térence étoit bien long dans le récit de son avant-scene, & qu’il avoit tort de faire une aussi longue confidence à un personnage qui n’avoit aucune part à l’action. […] Voilà le reproche qu’on pourroit faire à la plupart des personnages du Philosophe marié. […] Le Théophraste François se trompe : le caractere d’un homme efféminé, qui passe son temps à se parer pour séduire des femmes, qui se fait une gloire de porter le trouble dans leur cœur & de les afficher, qui croit établir sa gloire sur le déshonneur de vingt familles ; un tel personnage, dis-je, pouvoit être pendant cinq actes très utile à la correction des mœurs. […] Personnage du Tartufe.

/ 250