« Les anciens employoient un seul & même terme pour exprimer ce que nous entendons par mœurs & caracteres ; c’est de quoi on peut se convaincre en lisant les poétiques d’Aristote & d’Horace, & même les caracteres de Théophraste : en effet, bien que ce traité porte dans la langue originale le titre de caracteres, l’Auteur n’a point employé ce terme dans l’ouvrage même ; il se sert d’un mot qui semble mieux répondre à celui de mœurs en françois ». […] « Selon Aristote, les mœurs dans la tragédie, qui est une imitation des meilleurs, doivent être plus nobles & plus élevées que l’original ; & dans la comédie, qui est une imitation des plus méchants, les portraits doivent être plus chargés que les modeles, en sorte (dit ce grand maître) qu’elles nous donnent un exemple de la difformité qui fait rire. […] Et lorsqu’il ajoute qu’elles doivent être plus difformes que les originaux, ne nous fait-il pas entendre clairement qu’il faut charger les passions par des traits marqués, ainsi que les modernes l’ont pratiqué ?
Moliere, le divin Moliere lui-même, n’a pas quatre pieces qui ne soient imitées, en général ou en partie, d’un autre Auteur ; & je vais le prouver : loin de vouloir par-là diminuer le nombre de ses lauriers, je prétends leur donner un nouvel éclat, puisque Moliere a si bien embelli ses copies, qu’on les préfere aux originaux, qu’il est devenu lui-même un objet d’imitation pour ses successeurs, & que tous n’ont obtenu des suffrages qu’en se rapprochant de ce grand homme. […] Mettons-nous à portée de le prendre continuellement sur le fait, & de comparer les détails, les scenes, les sujets avec les originaux, à mesure qu’il s’en empare. […] Je mettrai l’original auprès de la copie ; il jugera lui-même : il dira, celui-ci sait imiter ; il appliquera ces quatre vers aux autres : Moi, je vois des Auteurs aussi froids que des marbres, Comme des nains difformes & courbés, Qui, ne pouvant atteindre aux fruits qui sont aux arbres, Vivent honteusement de ceux qui sont tombés2.
Des éditeurs de Molière en ont altéré le texte sans nécessité ; je le rétablis d’après l’édition originale. […] Le poète espagnol a la gloire d’avoir imaginé un sujet heureux et d’en avoir tiré de grandes beautés : Molière a le mérite d’avoir presque toujours perfectionné dans sa copie un bon original. […] Sa version est d’une fidélité si servile, qu’en la retraduisant mot à mot, on ne pourrait manquer de retrouver le texte original presque sans aucune altération. […] Celui de Thomas Corneille, qui est resté seul en possession du théâtre, n’est pas seulement une copie élégamment versifiée de la pièce de Molière : les idées de l’original y sont quelquefois corrigées ou étendues avec bonheur. […] Ou a dit, pour justifier ce titre, que, dans l’original espagnol et dans la plupart des imitations qui en furent faites, le commandeur tué par dom Juan, se nomme Pèdre, ou Pierre, et que c’est ce personnage qui a donné son nom à la pièce.
Il n’est donc pas surprenant que ses contemporains, même en laissant de côté toute malveillance, aient voulu découvrir en lui l’original d’Alceste6. […] Rœderer vous apprendra que c’est d’après les inspirations de Louis XIV lui-même que Molière a pris Montausier pour l’original de son misanthrope. […] » Les commentateurs n’ont pas manqué de s’autoriser de ce mot, dont l’authenticité semble au moins contestable, pour croire que de Saint-Aignan avait réellement pu servir d’original au rôle d’Oronte. […] Sans aucun doute, les contemporains ont placé des noms connus au bas de chacun de ces portraits, et plus d’un de ces beaux de cour, se donnant en spectacle sur les bancs de l’avant-scène, a dû offrir au public le malin plaisir de comparer la copie à l’original. […] Mais Molière avait son original, il voulut le mettre sur le théâtre. » (Grimarest, Vie de Molière.
La sœur cadette paroît, surprend son aînée un portrait à la main, & comme elle aime aussi Celio en secret, elle lui reproche son attachement pour l’original dont elle tient la copie : Aurora lui jure le contraire, &, pour le lui prouver, lui abandonne cette miniature qui cause sa jalousie : la sœur cadette l’accepte avec transport, l’ouvre bien vîte, & voit avec étonnement la figure d’Arlequin. […] Argentine y dit que, fâchée de ne pas tenir le portrait des mains de l’original, elle le renvoie ; Scapin lit qu’on ne veut plus de la copie, parcequ’elle est aussi vilaine que l’original.
Secondement un caractere de ce genre est plus facile à traiter qu’un caractere du moment, parcequ’étant presque toujours un vice du cœur, il est plus frappant ; il a jetté un plus grand nombre de branches & de racines qu’on peut lier au corps pour le rendre plus fort : un plus grand nombre de personnes peuvent en raisonner & vous communiquer leurs lumieres ; on a même un plus grand nombre d’originaux entre lesquels on peut choisir : indépendamment de cela les Auteurs qui nous ont précédés chez l’étranger ou dans notre patrie, n’ont pas manqué de voir un caractere qui a toujours existé, & de le traiter soit en grand, soit en détail. […] Ils sont plus ingrats, parceque si vous réussissez à peindre si bien la laideur de votre modele, que les originaux disparoissent, votre ouvrage ressemble aux portraits qui n’ont plus de valeur dès que la personne qu’ils représentoient est morte, à moins que le Peintre n’ait réuni au mérite de la ressemblance celui du dessein, du coloris, & des autres parties de son art, & qu’il ne captive par-là le suffrage des connoisseurs : c’est ce qui fait survivre, comme nous venons de le dire, les Précieuses de Moliere aux héroïnes de la piece. […] On les admirera après que leurs originaux auront disparu : ils respireront toujours la vérité, & l’on s’écriera : Ils devoient être bien ressemblants !
était plus près de la nation que la comédie : c’était une caricature fort exagérée, mais on pouvait y entrevoir l’original. […] Il n’a pas craint leurs originaux dans le monde, et il ne leur fait pas l’honneur de se fâcher en traçant leurs portraits. […] Pourquoi l’imitation est-elle plus comique que l’original ? […] Ils croyaient lui ôter tout ce qu’ils restituaient aux originaux ; ils n’ont fait qu’ajouter à ses titres de propriété. […] L’imagination ne se fatigue pas d’originaux qui se renouvellent sans cesse autour de nous, qui sont nous-mêmes.
Il joua d’original tous les premiers rôles des pièces de Molière, et celle-ci prouve tout ce qu’il valait. […] Ce fat de Brie qui joua d’original le rôle de M. […] On croit qu’il joua d’original le rôle d’Alcippe dans Le Menteur. […] Mademoiselle Beauchâteau joua d’original dans les pièces de Corneille. […] Trouillogan, philosophe pyrrhonien, répondant aux questions de Panurge avec cette horreur de l’affirmation, qui est particulière à sa secte, est l’original de Marphurius.
Quoi qu’il en soit, quatre ans après la mort de Molière, par suite d’un arrangement pris par Armande Béjart avec la troupe de la rue Mazarine1 , on vit tout à coup la prose si énergique et si nerveuse de Don Juan s’aligner en assez bons alexandrins sous la plume honnête de Thomas Corneille, et ce qu’on a peine à concevoir, cette médiocre copie s’est maintenue, jusqu’à nos jours, en possession du théâtre, à l’exclusion de l’original. […] pendant que le texte original d’un des chefs-d’œuvre du xviiie siècle périssait en France sous les exigences de l’amitié et les rigueurs d’une censure inepte, tous ces précieux débris nous étaient conservés dans les hâtives et méprisables reproductions des contrefacteurs étrangers ! […] Aussi ai-je rencontré plus d’un esprit sérieux et impartial qui, tout en s’inclinant devant l’évidente supériorité de l’original, était loin de condamner absolument, et sur tous les points, le travail du traducteur. […] Molière n’a fait qu’adopter le titre mis à la mode par de Villiers et Dorimon, lesquels s’étaient conformés eux-mêmes an préjugé populaire des Parisiens, qui croyaient que l’original de la statue se nommait don Pierre. […] Ce dernier détail n’appartient pas à Tirso de Molina ; il est de l’invention de Zamora, qui a refait la pièce originale au commencement du dernier siècle.
Ce que Ménage a dit de la pièce, à laquelle il avait assisté, mérite qu’on le rapporte en entier et sans altérer la naïveté du récit original, tel qu’il se trouve dans le Ménagiana. […] Dans cette édition, qu’il faut bien considérer comme originale, la pièce est en un seul acte ; et cependant les éditeurs de 1734 l’ont donnée en trois. […] C’est l’imitation d’un auteur italien, Giacinto Andrea Cicognini, qui a servi d’original à Molière. […] Après la représentation, le Roi dit à Molière, en lui montrant le marquis de Soyecourt : Voilà un grand original que tu n’as pas encore copié. […] Les divers originaux mis en jeu dans l’ouvrage, au lieu de passer l’un après l’autre sur la scène, pour n’y plus reparaître, dialoguent entre eux, se montrent à plusieurs reprises et participent tous au dénouement.