Moeurs . […] ) c’est l’imitation des mœurs mise en action : imitation des mœurs, en quoi elle differe de la tragédie & du poëme héroique : imitation en action, en quoi elle differe du poëme didactique moral & du simple dialogue. […] Comment se pouvoit-il que les mêmes spectateurs applaudissent à des mœurs si opposées ? […] quelle imitation des mœurs ! […] Le comique noble peint les mœurs des grands, & celles-ci different des mœurs du peuple & de la bourgeoisie moins par le fond, que par la forme.
. — Mœurs de la cour durant la Fronde. — Mœurs du parti de la fronde. — Mœurs de la capitale. La période de 1650 à 1660 va nous montrer une triple opposition : celle des mœurs dissolues et débordées de la cour et de la capitale, d’un côté, avec les mœurs retenues de la société spirituelle, décente et polie de l’autre, avec les précieuses ridicules. […] Quelles mœurs ce devaient être que celles de la Fronde ! […] Les mœurs de la capitale ne pouvaient pas être plus régulières que celles de la cour. […] Ici il ne s’agit que des mœurs d’exception, de la société dite des précieuses, et de la société d’élite que j’appelle la société polie.
. — Influence de la société polie sur les mœurs générales et sur le langage. — Mots qu’elle élimine de la langue. […] Quels furent ses mœurs, son esprit, son langage dans la période de 1660 à 1670 ? quel empire exercèrent sur elle les mœurs de la cour, l’esprit et le langage des hommes de lettres alliés de la cour ; ou quel empire exercèrent-elles sur ces mœurs, cet esprit et ce langage ? […] Une circonstance déjà remarquée favorisa cette influence : à la tête du parti des mœurs était madame de Montausier, appelée à la cour de Louis XIV comme la représentante de la société des honnêtes femmes, avec laquelle le jeune monarque avait voulu se mettre en bonne intelligence, dont il voulait être l’allié, en attendant qu’il se sentit la force d’en devenir l’ami. […] Quand l’honnêteté de mœurs se constitua aussi un tribunal et une juridiction, ce qui s’appelait impudicité à l’église, s’appela obscénité dans la société polie.
Malgré tant de changements de langage, de mœurs et d’idées, il semble destiné à vivre toujours jeune parmi les Français, ainsi qu’Homère parmi les Grecs. […] D’abord, si elle n’a pas d’intention morale, elle a certainement une influence sensible sur les mœurs. […] Dans ses peintures de mœurs, même artistiques et arrangées à sa fantaisie, ce sont les mœurs humaines, c’est l’humanité qu’il peint. […] Cette affection et cette répulsion ne s’appliquent qu’à des êtres imaginaires ; mais ni leurs mœurs ni leurs caractères ne sont purement imaginaires. […] Il voulait simplement plaire par son tableau de mœurs, et laisser ensuite chacun libre d’en tirer la conclusion qu’il pouvait.
Cependant, Molière, qui voyait le train de la cour continuer, l’amour du roi et de madame de Montespan braver le scandale, imagina d’infliger un surcroît de ridicule aux femmes dont les mœurs chastes et l’esprit délicat étaient la censure muette mais profonde et continue de la dissolution de la cour. […] Les femmes les plus considérables par l’honnêteté de leurs mœurs, et à qui leur fortune et leur rang laissaient un loisir dont elles ne pouvaient faire un meilleur usage que de s’instruire, s’étaient appliquées à l’étude du grec et du latin, à la métaphysique de Descartes, aux sciences physiques et mathématiques, quelques-unes particulièrement à l’astronomie. C’étaient là les femmes dont les mœurs inquiétaient Molière, et offensaient la cour. […] Ne serait-ce pas comme si je me tourmentais à soutenir que je ne suis pas un malhonnête homme, un homme sans pudeur, sans mœurs, sans conscience ? […] Elle n’empêchait pas le crédit de madame Scarron à la cour même, et l’inclination du roi vers les mœurs douces, honnêtes, et polies de la société dont elle était un ornement.
Une intrigue, trop souvent faible, mais prise dans des mœurs véritables, attaqua, non les torts passagers du citoyen, mais les ridicules plus durables de l’homme. […] Ce sont donc les résultats qui constituent la bonté des mœurs théâtrales ; et la même Pièce pourrait présenter des mœurs odieuses, et être d’une excellente moralité. […] Voilà sans doute le comble des mauvaises mœurs. […] La révolution des mœurs a semblé autoriser cette crainte. […] comment peindrait-il des mœurs qui n’existent plus ?
Son théâtre n’est-il pas le tableau le plus parfait des mœurs de son temps ? […] Mais, à mesure que les classes de la société se confondent, les mœurs publiques se pervertissent. […] De toute part éclatent des symptômes de décadence : la littérature dégénère avec les mœurs ; les froides antithèses du bel esprit remplacent les rapides inspirations du génie. […] Nanine paraît sur la scène, et ce n’est plus un jeune seigneur perdu de mœurs, c’est un sage qui se mésallie. […] Si chaque siècle a ses mœurs, chaque siècle a sa comédie.
Entre les gens du monde, les uns applaudissaient à ces mœurs d’exception, le grand nombre en était blessée. […] Le Royaume de Coquetterie est un tableau de mœurs débordées, mais quel tableau ! […] Toutefois, dans l’intervalle de 1652 à 1657, les mœurs de la cour éprouvaient un changement notable. […] Elle n’avait pas fixé son attention, il ne la connaissait pas, elle ne faisait plus autorité ni bruit dans le monde, quand Molière est venu à Paris ; mais il avait entendu parler d’elle, comme de l’origine de ces mœurs et de ce langage qui faisaient exception dans les mœurs et le langage de la capitale. […] Il avait pu se persuader que les mœurs de la cour, les mœurs générales, ne pouvaient pas avoir tort, et que la dissolution, grand péché contre la religion, n’était qu’un tort d’opinion à l’égard de la société : cette opinion irréfléchie était pardonnable à un jeune homme qui n’était pas et ne pouvait encore être un grand moraliste.
Déjà les mœurs s’étaient bien altérées. […] Ici, l’influence des mœurs se fait sentir sur la comédie. […] Il reproduisit, sans doute, les mœurs de son temps, mais sans chercher à les corriger. […] L’influence des mœurs du temps ne s’y fait-elle pas sentir ? […] Disons enfin que les mœurs politiques ne tardent pas à subir un changement notable.
D’ailleurs, la galanterie n’autorise pas la licence du langage ; l’irrégularité des mœurs n’autorise pas leur impudence. Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. Bien que les bonnes mœurs soient la plus sûre garantie du bon goût, cependant le bon goût a ses lois à part ; elles procèdent d’un instinct qui se développe dans la société avec la politesse des esprits, avec la délicatesse des âmes, avec l’élégance des manières, et s’exalte dans les douceurs des communications habituelles des esprits. […] Le cynisme prive de tous les charmes qu’elle répand dans la vie sociale à tous les degrés des liaisons et des intimités qu’elle procure, Le goût veut donc, comme la morale, que moins les mœurs sont pures, et plus on les déguise sous un langage exempt de leur souillure. […] Disons-le franchement : une telle excuse n’était bonne que pour un public devant lequel Molière, approuvé par la cour et autorisé par la licence générale des mœurs, n’avait pas besoin d’excuse.