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4. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

Les personnages peuvent avoir des intérêts opposés, mais il faut toujours qu’ils tendent à développer l’action principale. […] Un ouvrage dramatique qui manque par l’intérêt, quelque mérite qu’il offre sous d’autres rapports, ne peut jamais obtenir un succès durable. […] Dans une seule comédie (le Tartuffe), Molière a porté l’intérêt jusqu’au dernier degré de pathétique ; mais aussi quelle force comique, quelle gaieté brillent à côté ! […] Mais cette seconde espèce d’intérêt, par sa nature, doit toujours être dépendante et subordonnée au but de la comédie, d’instruire en attaquant les vices. […] Cependant il existe plusieurs pièces très estimables, où tout l’intérêt ne roule que sur le ridicule et les vices des personnages.

5. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXV. Du contraste des Caracteres. » pp. 386-397

« Le caractere de Cléante, disent les gens superficiels, contraste avec celui de son pere, puisque l’un emprunte de l’argent à gros intérêt, & que l’autre prête à usure ». […] Diderot, le véritable contraste est celui des caracteres avec les situations, & celui des intérêts avec les intérêts. […] Ici, Lélie, divisé d’intérêt avec Trufaldin qui ne veut lui céder l’esclave dont il est amoureux, qu’à beaux deniers comptants, & avec un rival assez riche pour faire cet achat, se trouve toujours dans des situations dont un homme prudent tireroit avantage, & qu’il tourne contre lui ; mais, qu’est-ce en comparaison de Tartufe surpris par Damis lorsqu’il fait la déclaration de son amour à Elmire ? […] Diderot : le véritable contraste est celui des caracteres avec les situations, & des intérêts avec les intérêts.

6. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. Du Dialogue. » pp. 204-222

Le premier, fin, adroit, veut s’insinuer dans le cœur de l’autre, & s’en emparer : le second s’apperçoit de son dessein ; il a le plus grand intérêt à le démasquer : est-il naturel que leur conversation soit coupée, qu’ils s’interrompent mutuellement par des questions & des répliques précipitées ? Ils s’en garderont bien : l’un a trop d’intérêt à parler, & l’autre à écouter. […] La surprise qu’elle ressent, ou celle qu’elle doit affecter, jointe à l’intérêt qu’elle a de connoître à fond un traître, tout lui impose silence pendant cette premiere tirade, qui est très fort dans la nature. […] Elmire, conformément à sa situation, à ses desseins, à ses intérêts, doit l’écouter plus patiemment que la premiere fois. […] Enfin il en est du dialogue comme de la diction, à laquelle il tient si bien, qu’on les a souvent confondus : il doit prendre, comme elle, le caractere des interlocuteurs, de leur état, de leur situation, de leurs passions, de leurs intérêts.

7. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Et ce n’est pas tout : comme la condition absolument imposée par madame Scarron aurait été désagréable à madame de Montespan, si elle-même n’avait eu intérêt à ce que le roi préludât, par l’ordre demandé, à la reconnaissance de ses enfants, il est présumable qu’elle avait autorisé, peut-être même excité madame Scarron à l’exiger. Mais cela prouverait qu’elle connaissait l’intérêt que le roi portait à madame Scarron et son désir de lavoir pour gouvernante de ses enfants, ne prévoyant pas sans doute qu’un jour cet intérêt irait fort au-delà de l’estime et de la bienveillance. […] Comment opposer l’intérêt de cet honneur au prince qui donne son propre honneur pour garant d’un inviolable secret ? […] Madame Scarron n’était pas plus hypocrite quand elle invoquait la religion au secours de l’honnêteté de ses mœurs que Bossuet n’était un charlatan et un mondain, quand, plus tard, voulant ramener le roi à la soumission aux lois de l’Église, il invoquait, en faveur de la foi conjugale violée parce prince, les lois de l’honneur elles intérêts de la gloire qu’il s’était acquise. […] Un directeur était un parasite, « jaloux d’obtenir le secret des familles, aimant à trouver les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s’intéresser à sa vie, à sa santé, et à ménager pour les autres et pour lui-même tous les intérêts humains…, couvrant tous les intérêts du soucieux et irrépréhensible prétexte du soin des âmes ».

8. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

L’amour et l’honneur, les plus personnelles des passions, à peine touchées par l’art antique, font dans notre monde chrétien l’intérêt fondamental de la plupart des tragédies. […] Ici, les affections de famille font taire les intérêts de la cité. […] Mais, sensible à l’héroïsme et à tout ce qui est moral et vrai, il professe pour chaque personnage pris à part une profonde estime, un sérieux intérêt et une haute admiration. […] Le conflit des idées morales cessa d’être la substance de l’intérêt tragique, et le chœur rendu par là utile ne fut plus qu’un sentencieux hors-d’œuvre. […] L’intérêt romanesque, qu’inspirent la passion et la personne des amoureux, a remplacé l’intérêt plus élevé et surtout plus solide qui s’attachait dans le théâtre antique aux droits des époux ou des parents199.

9. (1824) Notices des œuvres de Molière (VIII) : Le Bourgeois gentilhomme ; Psyché ; Les Fourberies de Scapin pp. 186-466

Ce n’était pas, en cette occasion, différence de goût ; c’était opposition naturelle de sentiments et d’intérêts. […] Quoi qu’il en soit, la noblesse satisfaisait en même temps les deux principales choses qui servent de mobile et de but aux actions humaines, la vanité et l’intérêt. […] n’a-t-il pas pour lui l’intérêt ? […] N’a-t-il pas (toujours le fripon), n’a-t-il pas pour lui l’intérêt, et le public n’applaudit-il pas à tous les tours qu’il fait à l’autre ? […] Dorante aurait pour lui l’intérêt !

10. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du point où doit commencer l’action d’une fable comique. » pp. 172-177

Je sais bien que les spectateurs s’amusent, en attendant une action plus vive, de quelques mensonges dans lesquels Dorante s’embarrasse, & qu’ils sont intrigués pour savoir comment il se tirera d’affaire : mais l’intérêt de curiosité ne vaut pas celui de sentiment ; l’un n’amuse que l’esprit, l’autre affecte le cœur. D’ailleurs, en exposant au spectateur une intrigue déja avancée, en l’intéressant pour deux amants qui, déja loin de toutes les simagrées de l’amour, & de ses enfantillages, partagent de bonne foi sa tendre vivacité, & sont sur le point de se voir heureux ou malheureux, un Auteur réunit & l’intérêt de curiosité & l’intérêt de sentiment ; le premier acquiert même beaucoup plus de force quand l’autre l’accompagne. […] Voilà par conséquent Durval qui, aux yeux du spectateur, agit, dès ce moment, pour lui & pour son ami : l’intrigue, l’action, l’intérêt, tout devient double ; le spectateur verra un double dénouement, ou il n’en verra aucun.

11. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

*** Il n’est pas sans intérêt de rechercher quelques-unes des principales causes d’un succès presque unique. […] Chacun la comprend et l’approuve, car elle éveille en nous le vieux fond de sagesse qui sommeille sous la brutalité des passions et la violence des intérêts. […] Pour intéressant que soit le problème, il offre surtout un intérêt religieux, et, vu les circonstances, un intérêt spécial, presque local. […] Qui ne voit l’intérêt tout actuel encore d’un problème de casuistique religieuse ainsi élargi et humanisé ? […] Un Corneille incarne ce qu’il y a dans notre race d’élan et de générosité, la tendance à sacrifier les intérêts pratiques et immédiats à une cause désintéressée et supérieure.

12. (1884) La Science du cœur humain, ou la Psychologie des sentiments et des passions, d’après les oeuvres de Molière pp. 5-136

Comment la comédie peut-elle exciter l’intérêt et la gaîté? […] Cette incorrigibilité si préjudiciable aux vrais intérêts de l’individu, cet entêtement absurde dans le mal, semblent tellement incompréhensibles, qu’il est bon d’en donner la clef. […] L’intérêt personnel domine tellement l’esprit humain que, dans les circonstances où l’action paraitrait devoir être la plus désintéressée, dans celle qui consiste à donner des conseils qui nous sont demandés sur des objets qui ne nous concernent point, ces conseils sont néanmoins presque toujours inspirés par notre propre intérêt et non par celui de la personne qui demande à être éclairée. […] Ce n’est que fort rarement et par exception que l’intérêt d’autrui ou que le devoir interviennent comme mobiles contre l’intérêt personnel. […] Son intérêt bien entendu, qui n’est point encore paralysé par la colère, lui conseille de fuir pour ne pas être envahi par cette passion, et c’est la voix des sentiments qui inspirent cet intérêt rationnel qu’il qualifie avec justesse du nom de raison.

13. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XII. Réflexions Générales. » pp. 241-265

À ce sujet, elle suit les conséquences rigoureuses de sa nature divine ; l’esprit qui l’anime est éminemment prudent et moral ; et il n’est pas sans intérêt d’observer que, parmi les moralistes, le plus grand philosophe de l’antiquité et le plus célèbre utopiste du dix-huitième siècle ont été d’une sévérité plus absolue. […] Mais il y a un suprême intérêt à ce qu’ils soient du moins innocents 835 et à ce qu’ils délassent l’homme sans le corrompre. […] Mais à notre époque, où l’activité intellectuelle prend chaque jour plus d’intensité, et où la civilisation urbaine envahit les campagnes, n’y a-t-il pas un intérêt grave, presque une nécessité, à ce que les distractions mêmes deviennent intellectuelles ? […]   Alors on se retourne vers Molière avec un sentiment d’admiration et d’intérêt plus vif encore que toute l’émotion causée par son génie. […] Le même esprit d’intérêt prudent pour la masse des faibles et des ignorants inspire la congrégation de l’Index dans ses interdictions, souvent mal comprises par ceux qui ne se placent pas à son point de vue.

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