Le comique de caractère, cette carrière ouverte par Corneille dans le Menteur, appellait Molière ; mais le comique d’intrigue s’était emparé de la scène, il ne fallait point l’en chasser ; conservons, multiplions les genres, n’excluons rien. Loin de vouloir établir le nouveau genre sur les ruines de l’ancien, Molière commence par les unir. […] Dans le Dépit Amoureux, c’est encore l’intrigue qui domine, intrigue bizarre, compliquée, peu décente ; mais déjà la main d’un maître sait répandre sur ce fonds ingrat, des caractères d’un comique fort, des situations piquantes, des scènes exquises et dans des genres tout differents. […] La bonne comédie naît enfin avec les Précieuses Ridicules ; ce n’était pas encore la perfection du genre, mais c’était l’ébauche du genre le plus parfait ; c’était à quelques égards, une farce, mais une farce morale et philosophique ; si le comique était un peu chargé, il était fort, il était vrai. […] À force de travaux et d’efforts dignes de Démosthénes, l’excella dans les grands rôles comiques, il forma Baron dans le genre même qu’il abandonnait, et il ne le forma pas moins à la vertu qu’au talent ; il lui donna de grands exemples de l’une et de l’autre.
Les personnages de ce genre, empruntés à l’Italie, avaient encore la vogue sur nos théâtres : le Jodelet surtout y avait obtenu de prodigieux succès dont la jeunesse de Molière avait été témoin. […] Le mélange d’héroïque et de comique, fidèlement exprimé par ce titre, n’est, dans l’ouvrage, que la confusion de deux genres inconciliables selon notre système dramatique. […] La comédie héroïque est l’inverse de la tragédie bourgeoise : notre goût les repousse toutes deux ; ce sont moins deux genres que deux espèces bâtardes qui n’ont jamais pu s’acclimater parmi nous. […] Cette comédie est d’un genre dont il n’existait pas encore de modèle. […] Ce genre, enfin, s’il n’était justifié par l’impossibilité de faire autrement, semblerait prouver l’impuissance de faire mieux.
C’est dans ces deux genres qu’Aristophane triompha tant de fois à la honte des Athéniens. […] Afranius & Ennius se distinguerent dans ce genre. […] Cet ouvrage n’est point copie d’un genre trouvé. […] L’allégorie est le fond de sa piece, & c’est presque un genre neuf qu’il a créé. […] Il a aussi sa finesse & ses graces ; & il ne faut pas le confondre avec le comique grossier : celui-ci consiste dans la maniere ; ce n’est point un genre à part, c’est un défaut de tous les genres.
Du Genre & du Plan de cet Ouvrage. […] Dans le second volume, nous parlerons des différents genres de la comédie. Jusqu’ici l’on n’en a guere distingué que trois : le genre d’intrigue, le genre à caractere, & celui qui tient de l’un & de l’autre, connu sous le nom de genre mixte ; mais nous verrons que ces genres sont divisés en plusieurs autres. […] Quel seroit mon bonheur si, en faisant remarquer chez lui des beautés dans tous les genres, je pouvois indiquer le moyen de les imiter toutes ! […] Tels sont les grands hommes dans tous les genres.
Du Genre mixte. Les Auteurs qui ont écrit sur l’Art de la Comédie n’ont point parlé du genre mixte, ou l’ont mal connu. […] Nous pourrions nous étendre beaucoup sur le genre mixte, & prouver qu’il se divise en plusieurs classes ; mais parlons seulement des deux qui sont les plus ordinaires, & dans lesquelles toutes les autres rentrent. […] Voilà donc une comédie véritablement dans le genre mixte, puisque l’intrigue & le caractere concourent également à faire aller la machine, & qu’on ne peut dire lequel des deux est le premier mobile. […] Il est inutile de s’arrêter davantage sur le genre mixte, parceque l’une de ses parties rentre dans le genre d’intrigue dont nous avons déja parlé, & l’autre dans le genre à caractere que nous allons entreprendre.
Les Espagnols, non moins partisans du merveilleux qu’entichés de leur noblesse, ont mis sur leur théâtre beaucoup de choses surnaturelles ; ce qui leur a été fort facile, graces aux diables, aux sorciers, même aux Saints & aux Anges qu’ils ont à commandement, & qui, d’un coup de baguette ou d’un signe, font des miracles dans tous les genres. […] La facilité avec laquelle on amene des événements singuliers, quand on veut s’étayer d’un pareil secours, leur a fait enfanter une infinité de pieces en ce genre, qu’ils n’ont pas manqué de nous apporter, lorsque nos Princes les ont appellés pour contribuer à leurs plaisirs. […] Je donne la préférence à la derniere, parcequ’elle nous écarte moins du genre héroïque. […] Je défie le Philosophe le plus grave, l’homme le plus ami du bon genre, de ne pas s’amuser aux représentations de cette comédie, toute monstrueuse qu’elle est ; il sourira du moins lorsque la plus grande partie des spectateurs sera dans l’admiration. […] Un Auteur auroit le plus grand tort s’il s’occupoit sérieusement d’un genre trop facile pour faire honneur.
Oui, avant 1661, avant les beaux temps de Boileau, de Racine, de Bossuet, les genres étaient démêlés dans notre littérature. […] C’est par cette distinction des genres et des tons que notre littérature acquit la pureté qui fit sa force et son élévation, et qui la distingua si honorablement de celle des autres nations. […] Je n’ai pas la présomption et la témérité de m’élever ici contre le retour de la littérature vers le mélange de genres, de tons et de style que l’on a regardé, du temps des précieuses et depuis, comme de la barbarie. Aujourd’hui la séparation des genres dans les écrits littéraires est devenue à peu près impossible ; elle ne peut plus être une règle de l’art d’écrire, au moins une régie aussi sévère qu’avant la révolution. […] Pourquoi les genres se démêlèrent-ils à la naissance de notre littérature sous Louis XIII et Louis XIV ?
Jettons un coup d’œil sur celle qui jouit d’une plus grande réputation, & voyons si, par elle-même, ou par ses succès, elle a droit d’accréditer ce genre. […] Corneille, loin d’avoir gâté son sujet, & de n’avoir pas soutenu la gloire du genre héroïque, l’a embelli, de l’aveu de tous les connoisseurs. […] Le genre est vicieux par lui-même : il ne peut se soutenir sans rentrer dans le genre comique ou tragique : s’il tient de l’un & de l’autre, on a raison de s’écrier, voilà le monstre. Pourquoi parler si long-temps d’un genre oublié, me dira-t-on peut-être encore ? […] L’Auteur aura peut-être mieux vu le genre, que M. de Voltaire & que tous ceux qui le trouvent mauvais ; il nous le prouvera en le traitant mieux que Corneille : jusqu’à ce temps-là je le croirai détestable.
« Parceque mille abus se sont glissés à la comédie, me répondra-t-on, parceque les ouvrages dans le mauvais genre y sont seuls en crédit, parceque la cabale, la protection y tiennent lieu de mérite ». […] Quand une troupe adoptera des monstres dramatiques, l’autre, toujours ferme dans le bon genre, empêchera le goût de se corrompre, ou nous ramenera au vrai beau. […] Chacun d’eux est parfait dans son genre. […] Un spectacle qui n’a pas un vrai genre ne peut se soutenir s’il ne se varie continuellement. […] Les Acteurs qui voudront être lestes sur le cothurne, lourds sur le brodequin, & sortir de la nature, seront sifflés, parceque leurs rivaux feront leur critique en conservant les nuances convenables à chaque genre.
I De tous les genres de poésie, la tragédie est le plus sérieux ; de tous les genres de poésie la comédie est donc le plus gai. […] Ainsi composée, elle se divise en autant de genres différents qu’il y a d’éléments divers qui peuvent y dominer tour à tour. […] Ce genre, le plus commun de tous, doit-il être complètement méprisé ? […] Que d’invention n’y a-t-il pas dans une bonne pièce de ce genre ! […] Nous n’en sommes encore qu’à chercher un genre comique national, sans l’avoir véritablement trouvé.