/ 214
6. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. De la Vraisemblance. » pp. 434-445

C’est un fait vrai qui a souvent produit des scenes très plaisantes ; cependant je ne conseillerois pas à un Poëte comique de le mettre en action : la plupart des spectateurs ne le trouveroient pas vraisemblable, sur-tout nos maris, qui reconnoissent bien leur femme quoique leurs sourcils & leurs cheveux prennent successivement toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. […] La plus petite action représentée au théâtre, doit, non seulement être vraisemblable, mais la vraisemblance doit encore être observée dans toutes les circonstances qui composent cette action, comme sont le temps, le lieu, les personnages, leur rang, leur âge, leur état, leurs desseins, les moyens qu’ils mettent en usage, les raisons qu’ils ont pour agir, &c. […] Dans le volume des Genres, & dans l’article des Pieces intriguées par un événement arrivé avant l’action, je traiterai de la vraisemblance dans l’avant-scene : appliquons-nous à parler présentement de la vraisemblance pendant l’action. De la vraisemblance pendant l’action. Je dis pendant l’action, parceque mon dessein n’est pas de parler seulement des fautes de vraisemblance qui regardent l’action, mais de toutes celles qui se font après l’exposition, & pendant que l’action est en mouvement.

7. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. De l’Entr’acte. » pp. 289-308

Il est impossible à la peinture de rendre l’action entiere de ce qu’elle veut représenter. […] D’un autre côté, on ne peut trop les critiquer, ou du moins les plaindre, quand ils écartent de la scene des choses qui feroient beaucoup plus d’effet que tout ce qu’ils mettent en action. […] Voici ce que dit M. de Beaumarchais : « L’action théâtrale ne reposant jamais, j’ai pensé qu’on pourroit essayer de lier un acte à celui qui le tient, par une action pantomime qui soutiendroit, sans la fatiguer, l’attention des spectateurs, & indiqueroit ce qui se passe derriere la scene pendant l’entr’acte. Je l’ai désigné entre chaque acte. » L’Auteur a raison ; l’action doit toujours être en mouvement & lier tous les actes les uns aux autres : mais si on ne veut plus donner le temps au spectateur de se délasser, & s’il doit avoir sous les yeux une action continuelle, pourquoi ne pas lui offrir la chose qui l’intéresse, & non ce qui l’indique simplement ? […] Je le répete : si l’action qui se passe derriere la toile est minutieuse, pourquoi nous la retracer ?

8. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

Se reconnaissant dans les portraits que la comédie lui offrait, l’homme s’étudia et finit par se corriger : où la vertu avait échoué, l’amour propre, mobile de nos actions, sut triompher et nous apprendre à nous vaincre. […] Quelle habileté pour en former un ensemble quelquefois parfait, pour le renfermer dans une action fortement conçue ! […] Unité d’action. […] Par action unique, il faut entendre celle à laquelle tout se rapporte dans la pièce. Les personnages peuvent avoir des intérêts opposés, mais il faut toujours qu’ils tendent à développer l’action principale.

9. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIX. De l’action dans les Pieces à caractere. » pp. 448-468

De l’action dans les Pieces à caractere. […] Ce n’est pas tout ; il faut que les discours & les actions du héros le peignent précisément tel qu’on l’a annoncé, ou qu’il s’est annoncé lui-même. […] On lui dit d’avouer son action infame. […] Plusieurs personnes soutiennent qu’il ne faut presque point d’action dans une comédie de caractere. […] Souvenons-nous sur-tout que tout en faisant filer une action par le personnage principal, il faut lui ménager les moyens de dénouer cette même action avec éclat, & par un trait qui le caractérise bien.

10. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XV. Des Actes. » pp. 274-288

L’acte finit réellement quand le théâtre reste sans action, après que les acteurs ont pris, aux yeux du spectateur, la résolution d’aller la continuer derriere la toile. […] N’y auroit-il pas de la bêtise à ne point s’appercevoir que l’action finit sur la scene, & que Frontin va la continuer derriere la toile. […] Puisque l’acteur ou les acteurs qui ferment l’acte, sortent ordinairement pour aller faire quelque action ou quelque découverte importante, l’Auteur fait grand plaisir au spectateur en les lui renvoyant bien vîte pour lui rendre compte de leur conduite, de leurs actions, ou l’informer de ce qu’ils ont découvert pendant leur absence. […] Cette scene est longue ; elle n’a point d’action ; elle n’est ni chaude, ni piquante, parcequ’une scene de raisonnement ne peut jamais l’être dans la comédie. […] Combien de surprise, de mouvement, d’action !

11. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [56, p. 89-93] »

Enfin s’il s’agissait de se faire l’idée d’une comédie parfaite, il me semble qu’aucun des comiques anciens ne fournirait autant de traits que Molière ; il a ses défauts, j’en conviens ; par exemple, il n’est pas souvent heureux dans ses dénouements ; mais la perfection de cette partie est-elle aussi essentielle à l’action comique, surtout quand c’est une pièce de caractère, qu’elle l’est à l’action tragique ? […] L’action comique intéresse tout au plus par sa singularité ; le tragique intéresse outre cela par son importance, son atrocité : c’est le corps même du spectacle, la machine qui frappe ; au lieu que l’action comique n’est qu’un canevas, une toile pour recevoir des objets dessinés et des couleurs ».

12. (1819) Notices des œuvres de Molière (IV) : La Princesse d’Élide ; Le Festin de Pierre pp. 7-322

La scène est à Barcelone, l’époque de l’action est moderne, les personnages sont des princes, et les mœurs sont tout à fait nationales. […] La durée de l’action est indéterminée ; mais, à en juger par le nombre des événements et des déplacements, elle ne comprend pas moins de plusieurs mois. […] L’action de sa pièce, pour la durée, est à peu près resserrée dans les bornes prescrites ; et ce qu’elle a d’extension par-delà les vingt-quatre heures, est autorisé par l’exemple des dramatistes les plus scrupuleux. […] Mais, si, dans Le Festin de Pierre, il n’y a point unité d’action, ni, par conséquent, unité d’intérêt, on peut dire que du moins il y a unité de caractère. […] Le dom Juan créé par Molière est aussi noble, aussi élégant dans ses manières et dans ses discours, qu’il est affreux dans ses principes et dans ses actions.

13. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE V. Des Pieces à scenes détachées. » pp. 45-60

« Une farce ou petite piece de scenes détachées est une fable dont les scenes n’ont aucune liaison entre elles, & dont l’action ne consiste que dans la démarche de plusieurs personnages qui par des motifs différents ou opposés viennent successivement ou plusieurs ensemble entretenir de leurs intérêts un homme ou une Divinité. « Ces farces ou ces petites pieces n’ont & ne peuvent même avoir ni action, ni intrigue, ni dénouement, car elles finissent d’ordinaire avec l’audience de l’homme ou du Dieu consulté, soit qu’il ne leur plaise plus de la continuer, ou que personne ne se présente plus pour la demander ; & pour finir ces prétendues pieces d’une maniere enjouée, on y ajoute le plus souvent un ballet composé des personnages qui ont paru sur la scene. […] Quelques valets d’Eraste entendent les projets du tuteur, fondent sur lui : leur maître se trouve là très à propos pour sauver les jours de son ennemi, qui, vaincu de son côté par cette action généreuse, lui accorde la main d’Orphise. […] J’ai démontré que l’action nous conduit d’incident en incident, & par gradation, à un dénouement bien supérieur à celui du Mercure, & qu’il est dans toutes les regles, puisqu’il a le mérite de la précision, qu’il surprend, & qu’il satisfait tout le monde : j’ai donc confondu, aux yeux de mes Lecteurs judicieux, les personnes qui n’avoient pas apperçu le moindre nœud dans cette piece, ou qui ne vouloient pas en convenir : j’ai triomphé en même temps de celles qui ne concevoient pas la possibilité de resserrer une action parfaite dans un petit nombre de vers, & qui critiquoient Moliere de l’avoir fait. […] On me soutiendra que la chose n’est pas faisable ; je prouverai le contraire par les vers mêmes de Moliere, puisqu’en les copiant j’en ai retranché la moitié sans toucher, comme l’on vient de le voir, aux ressorts nécessaires pour faire mouvoir une action complette, sans même déranger l’ordre des rimes.

14. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XX. Des Pieces intriguées par le hasard. » pp. 223-240

« Dans les pieces intriguées par le hasard, aucun des personnages n’a dessein de traverser l’action, qui semble aller d’elle-même à sa fin, mais qui néanmoins se trouve interrompue par des événements que le pur hasard semble avoir amenés. […] L’Amphitrion qu’il a imité, ou plutôt qu’il a presque traduit, offre une action que les personnages n’ont aucun dessein de traverser. […] Alors l’action est conduite à sa fin par l’éclat que doit faire nécessairement la tromperie de Jupiter ; & ce Dieu est obligé de se découvrir aux dépens mêmes de l’honneur d’Alcmene. […] Riccoboni s’est trompé : on ne peut absolument pas compter l’Amphitrion parmi les pieces intriguées par le hasard ; le hasard n’y préside ni au principe de l’action, ni aux incidents, ni au dénouement, & il s’en faut bien que les personnages n’aient aucun dessein de traverser l’action. […] On voit que dans le courant de cet acte Marcella dit encore de dessein prémédité des choses qui ne sont point, ou en cele qui sont véritables, & ranime par-là l’intrigue : par conséquent ce n’est point le hasard qui forme l’action, n’en déplaise à Riccoboni.

15. (1746) Notices des pièces de Molière (1661-1665) [Histoire du théâtre français, tome IX] pp. -369

Il fallait donc encore une fois lier les scènes détachées à une action où à un motif, et c’était là la difficulté ; mais comme rien n’intéresse davantage que la passion de l’amour, et qu’elle est plus à la portée des spectateurs que toute autre, c’est aussi sur cette passion que Molière a fait rouler son action, son intrigue, et son dénouement. […] Cette première démarche est une preuve du génie de Molière, puisque par elle il répare le désordre qui règne dans tout le cours de l’action, et que par ce seul changement il la rend vraisemblable, et lui donne une conduite sage et régulière. […] Il a premièrement distribué en cinq actes l’action que l’auteur espagnol ne partage qu’en trois. […] Il me paraît à propos d’examiner ici si c’est art ou défaut dans Molière de n’avoir pas informé le spectateur de ce qui s’est passé entre le troisième et le quatrième acte, et pourquoi l’action est suspendue dans cet intervalle. […] Or, si cette scène se fût passée dans l’entracte, le spectateur n’eût pas été satisfait de n’apprendre que par récit ce qu’il aurait souhaité de voir dans l’action ; d’autant plus que ce que la princesse s’est proposé de faire en sortant est un de ces points principaux de l’action, que, selon les règles du théâtre, le spectateur doit voir, et non pas simplement connaître par un confident, ou par une confidente, comme dans la tragédie.

/ 214