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14. (1847) Le Don Juan de Molière au Théâtre-Français (Revue des deux mondes) pp. 557-567

Enfin, le progrès des idées et le respect dû aux chefs-d’œuvre aidant, elle vient de reparaître sur le théâtre, cette courte et belle scène que n’aurait pas désavouée Shakespeare ; nous l’avons vue enfin et entendue tout entière, telle qu’elle a jailli de l’âme et du cerveau de son auteur, telle que bien peu même des contemporains de Molière ont pu l’entendre et l’admirer ; et, pour comble de bonheur, elle a été interprétée d’une manière sublime par Ligier, qui, avec quatre ou cinq paroles sorties du cœur, sans cris, sans gestes, a ému profondément toute la salle. […] Je conçois que, pour arriver à la conciliation qu’il avait en vue, il ait dû faire le sacrifice de plusieurs scènes, dont le dessin était trop manifeste et l’adresse écrite trop clairement, celle, par exemple, où l’incorrigible duelliste, devenu tout à coup homme de bien, met en action la septième lettre des Provinciales, et pratique, avec un aplomb et une aisance consommés, les maximes de restriction mentale et de direction d’intention recommandées, en pareille circonstance, par Petrus Hurtado. […] Je m’en vais passer tout à l’heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand couvent ; mais, pour moi, je vous déclare que ce n’est pas moi qui me veux battre : le ciel m’en défend la pensée, et, si vous m’attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. » - Je conçois qu’on ait été obligé de faire, en 1677, des retranchements aussi fâcheux ; mais ce qui me paraît le tort grave et personnel du traducteur, c’est d’avoir rempli ces vides si regrettables par des inventions communes et propres seulement à faire perdre de vue le dessein et la haute pensée de l’auteur.

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