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120. (1909) Deux ennemis de la Compagnie du Saint-Sacrement : Molière et Port-Royal (Revue des deux mondes) pp. 892-923

Il est certain qu’elle se réunissait à Caen dans cette maison de l’Ermitage, propriété du sieur Bernières-Louvigny, et qu’elle comptait parmi ses membres, que même elle avait eu pour fondateur, ce dévot très mystique, précurseur de MmeGuyon, apôtre d’une « certaine espèce d’oraison, sublime et transcendante, que l’on appelle l’occasion purement passive, parce que l’esprit n’y agit point. » Même Bernières-Louvigny était parmi les gens du Saint-Sacrement « en si grande vénération »que « peu s’en fallait qu’ils ne le canonisassent. » — Il était vrai aussi qu’une « union et correspondance » toute particulière régnait « entre la Compagnie de Paris et celle de Caen. » — On ne pouvait nier enfin que l’idée d’implanter le catholicisme au Canada était des plus chères à la Compagnie du Saint-Sacrement, et, spécialement, à celle de Caen : Mgr de Laval-Montigny, le célèbre évêque de Québec, était l’élève en mysticité de M. de Bernières et « avait longtemps demeuré à l’Ermitage. » En tout cas, pour la Compagnie, la gravité de cette dénonciation consistait en ce qu’à l’occasion de ces indécences ridicules, non seulement le groupe de Caen était complètement dévoilé, avec les noms de son fondateur et de ses membres principaux, avec les lieux et jours de ses séances; mais encore son affiliation à la Compagnie de Paris se trouvait révélée, ainsi que l’existence « d’autres semblables compagnies dans plusieurs grandes villes du Royaume. » On disait expressément « leurs occupations, » leur organisation intérieure, leur méthode ; le vrai nom de la Compagnie était imprimé en toutes lettres ; on affirmait qu’elle n’était « autorisée ni par le Roy, ni par les évêques, ni par les magistrats ; »qu’elle était tout à fait secrète, à la différence des congrégations et « associations » des Jésuites; et bien que l’auteur du Mémoire se défendit de vouloir répandre son pamphlet partout, le tirage en fut assez grand pour qu’aujourd’hui l’on en retrouve de nombreux exemplaires : de l’aveu de d’Argenson, « quelque soin que se donna la Compagnie, pour le supprimer, elle n’en put jamais venir à bout. » D’ailleurs, le dénonciateur anonyme prenait bien soin de communiquer son factum « à ceux à qui il appartient de connaître et de corriger les excès que l’on y représente, »c’est-à-dire aux « supérieurs » de l’Etat ou de l’Eglise. […] Il est vrai qu’à chaque nouveau bureau s’adjoignaient les membres du bureau précédent et quelques conseillers bénévoles, pour tâcher de « maintenir la Compagnie dans la pureté de son esprit. » Il est vrai aussi qu’on essaya, en 1660, de remplacer les assemblées plénières par des assemblées de canton, dans les paroisses de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, du Louvre, de Saint-Nicolas-des-Champs; mais ces groupemens étroits disparurent en un an. […] Les Jansénistes y participaient, et surabondamment, et même, s’il faut en croire Brossette, c’étaient eux que Louis XIV regarda comme « les vrais objets »de la comédie de Molière, tandis que les Messieurs de Port-Royal étaient persuadés au contraire que le Tartufe fustigeait les Jésuites. […] Allier, que leur influence ait cessé d’y être prépondérante, il n’en est pas moins vrai que M. de Morangis, un fils spirituel de Nicolas Pavillon, est flétri par le même Père Rapin, comme un de ces hommes du monde qui allaient dans Paris prônant les Provinciales. […] « Il n’est point toujours nécessaire de sortir du désert pour être utile à ses frères ; on leur fait souvent plus de bien de loin que de près ; il ne faut que parler à Dieu pour eux… » Mais sa vraie pensée, c’est qu’au fond le chrétien n’a ni le devoir, ni le droit de tant se préoccuper d’autrui, que même c’est presque un péché que cette charité mal ordonnée.

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