Donner la vie en spectacle aux vivants eux-mêmes ; peindre dans les personnages l’homme de tous les âges et de tous les pays ; transporter sur la scène la vie intime de la société tout entière ; embrasser d’un coup d’œil l’unité variée de la nature, « si féconde en bizarres portraits 22; »connaître l’homme, comprendre ce qu’il y a d’un et d’immuable dans ce « sujet divers et ondoyant 23 ; »suivre et saisir, dans le labyrinthe du cœur humain, les passions, ces Protées aux mille métamorphoses ; prendre pour type l’espèce et non l’individu ; attaquer les travers et les ridicules , abstraction faite des personnes ; tracer des caractères et non des portraits ; inventer et non copier ou contrefaire; n’emprunter à l’observation que des traits de caractère et d’effet, en les rendant plus vifs et plus saillants que la réalité, sans toutefois faire violence à la vérité et à la nature ; tenir compte des préférences des contemporains, tout en restant fidèle aux préceptes éternels de l’art ; en un mot, observer et créer, voilà le rôle du poëte comique ; et tel fut le secret de Molière. […] Car la coquetterie après tout est un vice, et le poëte était maître de le rendre odieux; mais il nous représente sa Célimène si irrésistiblement, si fatalement entraînée sur la pente de ce défaut; il nous la dépeint si gracieuse, si vive, si spirituelle; il oppose avec tant d’adresse à ses défauts la pruderie, plus odieuse que la coquetterie, que, subissant le charme de son art séducteur, on est bien près de pardonner et de s’écrier avec Alceste : « Sa grâce est la plus forte44 !