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210. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XI. De la Religion. Principe et Sanction de la Morale de Molière. » pp. 217-240

Pour moi, monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne sauroit se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. […] Le désintéressement de l’amour de Dieu, qu’il faut aimer par-dessus toute chose751, est exprimé eu action par le Pauvre qui « prie le ciel tout le jour, et qui est bien mal reconnu de ses soins, dit don Juan, puisqu’il est dans la plus grande nécessité du monde, et que, le plus souvent, il n’a pas un morceau depain à mettre sous les dents. » Pourtant, entre un louis d’or et un péché, il n’hésite pas ; et malgré le diable qui le tente et Sganarelle qui l’encourage, « il aime mieux mourir de faim752. » L’amour du prochain, qu’il faut aimer comme soi-même pour l’amour de Dieu753, quand a-t-il été pratiqué d’une manière plus touchante que par done Elvire, qui, trahie de la façon la plus injurieuse par un amant aimé, revient trouver ce scélérat, ce perfide, qu’elle a menacé de « la colère d’une femme offensée754, » pour adresser à ce cœur de tigre les paroles qui tirent des larmes à Sganarelle : «  Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j’ai tantôt fait éclater ; et vous me voyez bien changée de ce que j’étois ce matin. […] Quant à la sublime humilité du repentir, aux trésors de la miséricorde divine, avec quelle grandeur et quelle douceur ces choses sont encore exprimées par done Elvire à don Juan : « Je sais tous les dérèglements de votre vie ; et ce même ciel, qui m’a touché le cœur et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m’a inspiré de vous venir trouver758, et de vous dire de sa part que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère redoutable est prête de tomber sur vous, qu’il est en vous de l’éviter par un prompt repentir, et que, peut-être, vous n’avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. […] », vers faible, substitué sans doute par nécessité à celui que nous plaçons aujourd’hui dans le texte, et qui est venu jusqu’à nous par tradition : « Ô ciel, pardonne-lui comme je lui pardonne ! 

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