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115. (1900) Molière pp. -283

Tout ce temps-là, il court la province, pendant treize ans, jouant où il peut, arrangeant les canevas traditionnels qui avaient le privilège de réjouir la foule, revêtant lui-même la livrée de Mascarille et du Barbouillé, vivant en communauté avec sa troupe, et quand je songe que pendant tout ce temps-là il y eut à côté de cette troupe des gens tels que d’Assoucy, l’homme le plus mal famé de son temps, au lieu de dire sa troupe, je devrais peut-être dire sa bande. […] Vous pouvez bien regarder ces dix dernières années de sa vie, si vous songez qu’il a écrit vingt comédies en dix ans, et que non seulement il les a écrites, mais qu’il les a fait jouer, qu’il a dirigé la troupe destinée à les jouer, et la direction d’une troupe n’est pas une petite affaire, qu’il les a jouées lui-même, vous ne trouverez pas un jour de relâche dans ces dix années. […] Cet homme d’un bon sens profond, qui a écrit contre les mariages disproportionnés des pages d’une éloquence si terrible, qui, s’il penche de quelque côté dans ses œuvres, s’il a quelque partialité, penche plutôt du côté de l’entreprenante jeunesse, en qui il est prêt à tout excuser et à tout pardonner ; cet homme imagina, à quarante ans sonnés, malade (sa poitrine était déjà atteinte), usé par les fatigues de sa profession d’auteur, et de sa profession de comédien, usé même par les désordres de sa vie antérieure, imagina, dis-je, d’associer à sa vie une petite fille de dix-sept ans, Armande Béjart, élevée au théâtre dans sa propre troupe, parmi les maximes licencieuses dont le théâtre de cette époque est plein, et parmi les mauvais exemples dont la vie de comédien était alors exclusivement remplie, et que Molière lui-même avait donnés autant que personne. […] Complètement dénuée d’expérience, recherchée en mariage par un homme qui était en train de devenir illustre, qu’un roi jeune et brillant protégeait depuis un an de sa faveur déclarée, qui était le directeur de la troupe où elle vivait, son guide par conséquent, « son seigneur et son maître », pour prendre les expressions de L’École des femmes, poussée dans les bras de cet homme par la connivence de Madeleine Béjart, qui depuis longtemps n’avait plus rien à refuser à Molière, et qui aurait bien dû lui refuser au moins cela, que pouvait-elle faire ?

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