Tout le monde sait que dans Boccace, une femme, amoureuse d’un jeune homme, trompe son confesseur, et que pensant remplir uniquement les devoirs de son ministère, celui-ci porte au jeune homme des présents, et des billets de sa pénitente ; mais Lope de Vega a substitué au confesseur un vieillard amoureux d’une jeune personne qu’il veut épouser, et dont il ignore que son fils est aimé : elle feint néanmoins de consentir à épouser le père de son amant, et demande seulement pour toute grâce un mois de délai ; ensuite elle prie le vieillard, en qualité de belle-mère future, de faire cesser l’inquiétude que lui causent depuis quelque temps les messages fréquents de son fils. […] Dans Boccace, elle ne court aucun risque en mettant le confesseur dans sa confidence ; c’est l’homme du monde le plus aisé à tromper, dès que la fourberie se couvre du voile de la religion : au lieu que dans Molière, la jeune fille, qui ne peut avoir d’entretien qu’avec son tuteur, s’expose à mille inconvénients pour se tirer de la situation où elle est ; et toutes les démarches qu’elle fait dans cette vue deviennent, pour ainsi dire, autant de coups de théâtre ou de situations neuves, amenées, intéressantes, et d’où sort enfin un dénouement aussi juste qu’admirable. […] « [*]Ceux-là se trompent, qui croient que Molière a tiré l’idée de sa comédie des Fâcheux d’une satire d’Horace : Molière avait vu jouer à l’impromptu par les comédiens italiens, qui de son temps étaient à Paris, une ancienne comédie italienne intitulée : Le case svaliggiate, ou Gli interompimenti di Pantalone, et à laquelle les comédiens italiens d’aujourd’hui ont donné simplement le titre d’Arlequin dévaliseur de maisons, pour éviter celui des Fâcheux, dont Molière s’était emparé. […] La ressemblance que l’on pourrait trouver entre L’École des maris et L’École des femmes, sur ce qu’Arnolphe et Sganarelle sont tous deux trompés par les mesures qu’ils prennent pour assurer leur tranquillité, ne peut tourner qu’à la gloire de Molière, qui a trouvé le secret de varier ce qui paraît uniforme. […] C’est là, si je ne suis trompé, connaître parfaitement l’art du théâtre, et le cœur humain ; Sganarelle ne dit rien, mais son silence parle éloquemment aux spectateurs.