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132. (1910) Rousseau contre Molière

Il fait dire à Alceste, et dès le commencement, et il semble que pour lui c’est le premier trait de son caractère : « Je veux qu’on me distingue. » Il lui fait dire : « Je donne la comédie ? […] Et ceci lui fait d’autant plus d’honneur que le spectateur, qui n’est pas psychologue, aime précisément le personnage tout d une pièce, tel qu’il est dans un Alexandre Dumas ou dans tel autre dramatiste populaire, et que c’est une chance de succès qu’il s’ôtait en donnant à ses personnages sympathiques quelques traits antipathiques et à ses personnages odieux, comme à Don Juan, quelques traits nobles. […] Ce qui serait impossible à Alceste dans l’état où il est, c’est de faire un vrai trait d’esprit, ce qui demande du sang-froid, de la présence d’esprit, du calme et une pleine possession de soi-même. […] Molière a marqué ce trait et tenu à le marquer. […] Parce que Rousseau a tracé de l’Alceste un certain portrait, beaucoup d’entre nous voient beaucoup de ces traits dans l’Alceste de Molière lui-même ; et si la pièce de Fabre d’Eglantine était restée classique, beaucoup des traits étrangement nouveaux qu’il a donnés à l’Alceste, nous les reconnaîtrions dans l’Alceste de Molière — ou nous nous étonnerions de ne pas les y trouver, et nous reprocherions à Molière de ne les y avoir pas mis.

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