/ 163
127. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Que de haine et de mépris pour le par terre, applaudissant la Phèdre de Pradon, et sifflant la Phèdre de Racine ; en revanche, quelle éternelle louange à ce roi Louis XIV, qui, de son camp de Flandre, signe l’ordre de laisser représenter Tartuffe, dont il a vu chez lui les trois premiers actes. […] Dites-moi, de nos jours, dans quel royaume de la terre, prince absolu ou roi constitutionnel, un poète comique oserait mettre au jour, une chose à ce point hardie et contraire à toutes les bienséances ? […] C’était bon pour vous, sire, dans les jardins de Versailles, au murmure de vos mille jets d’eau, entouré des plus vaillants capitaines, des plus grandes et des plus belles personnes de la terre ; c’était bon pour vous qui étiez le roi, qui étiez le maître, qui aviez vos jours de médecine, réglés comme vos jours de concert ; vous, majesté, la santé la plus florissante du royaume de France, et pour qui la France entière chantait le Domine salvum, à toute heure de la nuit et du jour ! […] Méfiez-vous de cette abondance stérile et de ce naturel du terre à terre, et songez, quand vous écrivez, non pas au lecteur de rencontre, qui vous lit au hasard, en attendant sa Belle ou l’ouverture de la Bourse, mais au lecteur honnête homme, amoureux de la forme et bon juge du style ; à cet homme dont la voix compte, et dont le jugement est un arrêt, il faut plaire avant de plaire à tout autre ; il faut qu’il vous estime et qu’il vous aime ; il faut qu’il croie en votre esprit, qu’il se fie à votre goût et qu’il honore votre bon sens.

/ 163