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187. (1824) Notice sur le Tartuffe pp. 91-146

En 1662, le roi était en Lorraine à la tête de son armée ; son ancien précepteur, l’évêque de Rhodes, assistait au souper ; Louis l’engagea à y prendre part : « Je ne ferai qu’une collation, répondit le prélat, parce que c’est aujourd’hui vigile et jeûne. » Quand l’évêque fut sorti, Louis XIV, voyant ses courtisans sourire, voulut savoir pourquoi ; alors ils lui racontèrent comment se nourrissait cet évêque, qui paraissait si scrupuleux, et qui n’était rien moins que sobre. […] Déclarer la guerre aux esprits forts, montrer l’athée comme un vil scélérat et faire tomber sur sa tête la vengeance céleste, c’était se prémunir contre toutes les accusations d’impiété dont l’accablaient les dévots depuis la première apparition du Tartuffe sur la scène royale de Versailles ; mais Molière, dans une profession solennelle de ses vrais sentiments, n’était pas homme à reculer devant ses ennemis ; un acte de précaution ne fut point un acte de faiblesse ; il attaqua les hypocrites dans l’ouvrage même où il semblait vouloir se prémunir contre leurs saintes fureurs ; il ne lit pas seulement de son athée un franc scélérat, il en fit un faux dévot ; et, tout en se couvrant d’une égide sacrée pour repousser les traits de la calomnie, il préparait l’attaque décisive et terrible qu’il devait porter dans ce chef-d’œuvre qui, après tant d’obstacles, allait enfin paraître au grand jour de la représentation. […] La pièce prit dès lors son rang parmi les chefs-d’œuvre de la scène, et la postérité l’a placée à la tête des productions les plus étonnantes de l’esprit humain.

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