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92. (1747) Notices des pièces de Molière (1666-1669) [Histoire du théâtre français, tome X] pp. -419

Il n’y a que ceux qui ne savent point combien les hommes agissent peu conséquemment qui puissent être surpris qu’on se moquât publiquement au théâtre des mêmes dieux qu’on adorait dans les temples. […] L’architecture était d’ordre Ionique : entre chaque colonne il y avait une figure : celle qui était à droite représentait la paix, et celle qui était à gauche figurait la victoire… lorsque Leurs Majestés furent arrivées dans ce lieu, dont la grandeur et la magnificence surprit toute la Cour, et quand elles eurent pris leurs places sous le haut dais qui était au milieu du parterre, on leva la toile qui cachait la décoration du théâtre ; et alors, les yeux se trouvant tout à fait trompés, l’on crut voir effectivement un jardin d’une beauté extraordinaire… « L’ouverture du théâtre se fait par quatre bergersa déguisés en valets de fêtes, qui, accompagnés de quatre autres bergersb qui jouent de la flûte, font une danse, où ils obligent d’entrer avec eux un riche paysan qu’ils rencontrent, et qui, mal satisfait de son mariage, n’a l’esprit rempli que de fâcheuses pensées. […] Ce marquis de nouvelle fonte, Dont par hasard, à ce qu’on conte, L’original est à Paris*, En colère autant que surpris, De s’y voir dépeint de la sorte, Il jure, il tempête et s’emporte, Et veut faire ajourner l’auteur, En réparation d’honneur, Tant pour lui, que pour sa famille, Laquelle en Pourceaugnac fourmille. […] « [*]Quoique Le Misanthrope soit peut-être la meilleure comédie que nous ayons aujourd’hui, on n’est pas surpris néanmoins que le public ait hésité durant quelques jours à l’avouer pour excellente, et que le suffrage général n’ait été déclaré en sa faveur qu’après huit ou dix représentations, quand on fait réflexion aux circonstances où Molière la joua. […] Ainsi le public, accoutumé depuis longtemps à un comique grossier ou gigantesque, qui l’entretenait d’aventures basses ou romanesques, et qui ne faisait paraître sur la scène que des plaisants barbouillés et grotesques, fut surpris d’y voir une Muse qui, sans mettre des masques à grimace sur le visage de ses acteurs, ne laissait pas d’en faire des personnages de comédie excellents.

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