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151. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Désormais, son théâtre errant ne lui suffit plus. […] Toujours est-il que l’esprit, l’intelligence, l’étude des modèles, ne suffisent pas à faire un comédien. […] Arrivez tout de suite, et montrez-vous, ça suffira ; parlez, et soudain vous allez trouver, sans vous en douter, dans la prose la plus vulgaire, ou dans le vers le plus traînant, toutes sortes de mots touchants ou risibles ; soudain vous allez faire de rien quelque chose, une comédie d’un geste, un drame d’un seul cri : émue ou riante, à votre aspect, sans qu’elle se puise expliquer pourquoi son rire, et pourquoi ses larmes, la foule vous applaudit et vous regarde, bouche béante ; — vous, cependant, vous ne comprenez rien à tant de succès ; vous regardez d’où cela peut venir, vous vous demandez si en effet vous êtes bien un homme comme tous les autres, vous êtes prêt à prendre en pitié ces grands niais qui rient aux éclats de la gaîté que vous ne ressentez guère, qui pleurent à chaudes larmes d’une douleur qui est si loin de votre âme. […] Cet Ali est un homme simple et calme dans son dévouement ; il ne prend pas feu tout de suite, comme le seigneur Figaro ; il n’a pas recours tout d’un coup aux grands moyens, aux grandes phrases, aux hardis conseils ; ce bon Ali comprend confusément qu’un des privilèges, un des grands bonheurs de l’amour, c’est de se suffire à soi-même, et qu’en ceci la complaisance des tiers est souvent odieuse quand elle n’est pas infâme. […] Ici la sérénade commence ; on aurait tort de dédaigner la vieille musique de Lulli qui réchauffait autrefois les vers de Quinault ; cette musique est agréable et toute faite naïvement pour les paroles ; elle suffit et au-delà à réveiller le vieux tuteur et à le mettre sur ses gardes.

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