Et il prétend justifier à la fin sa comédie si pleine de blasphème à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine ; même, pour mieux accompagner la forte impression d’horreur qu’un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits du spectateur, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure10. » On voit que Don Juan ne fut pas plus à l’abri de la critique des dévots que ne l’avait été le Tartuffe, mais peut-être, comme le dit un des apologistes de Molière, est-ce l’une de ces pièces que l’on continue à poursuivre dans l’autre : « À quoi songiez-vous, Molière, dit cet apologiste, quand vous fîtes dessein de jouer le Tartuffe ? […] Excepté cette générosité de sang qui le porte à la défense d’un homme succombant sous le nombre et qui est bien le trait d’un gentilhomme, nulle part ailleurs Molière ne lui a prêté un sentiment qui puisse faire illusion et qui nous le fasse aimer ; c’est une âme glacée qui n’a rien d’humain ; et si peu croyants que nous soyons, si peu d’effroi que nous inspire la foudre qui termine la pièce, je ne pense pas cependant qu’il y ait un seul spectateur qui regrette de le voir puni et son insolence humiliée. […] Il y a encore, dans le rôle de Sganarelle, un mot qui a beaucoup blessé les spectateurs de la première représentation et que Molière a fait disparaître dans les éditions imprimées : c’est le dernier mot de la pièce. […] Quant à la catastrophe finale, que les critiques donnent comme une farce sans autorité et sans valeur morale, ce n’est pas la faute de Molière si une statue qui marche, une terre qui s’entrouvre avec un tonnerre et des éclairs ne sont plus pour nous et n’étaient déjà pour les spectateurs les plus pieux du xviie siècle qu’un pur spectacle et une affaire de machine. […] Tournant ainsi au noir le caractère de Philinte, il exagéra le côté risible du personnage d’Alceste ; il ne vit pas que le rire dont celui-ci est quelquefois l’objet est un rire de sympathie et de bienvenue au moins de la part du spectateur, et si d’autres personnages, comme Célimène et les marquis, croient avoir le droit de le persifler, ce n’est pas avec notre connivence, ou du moins, si nous rions avec eux, ce n’est pas avec les mêmes sentiments qu’eux.