Celui qui fit l’annonce, la veille que cette pièce devait être représentée, dit au parterre : Messieurs, Le Juge (c’était le nom de la pièce) a souffert quelques difficultés. […] Voici textuellement le passage de la description des Plaisirs de l’Île enchantée : « Le soir, Sa Majesté fit jouer les trois premiers actes d’une comédie, nommée Tartuffe, que le sieur de Molière avait faite contre les hypocrites ; mais, quoiqu’elle eût été trouvée fort divertissante, le Roi connut tant de conformité entre ceux qu’une véritable dévotion met dans le chemin du ciel, et ceux qu’une vaine ostentation des bonnes œuvres n’empêche pas d’en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu qui pouvaient être pris l’un pour l’autre ; et, quoiqu’on ne doutât point des bonnes intentions de l’auteur, il la défendit pourtant en public, et se priva soi-même de ce plaisir, pour n’en pas laisser abuser à d’autres, moins capables d’en faire un juste discernement. » Cette citation est tirée de l’édition originale publiée, en 1665, par Ballard, et plusieurs fois réimprimée du vivant de Molière. […] Dans cette phrase, « Son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu », on a substitué aux mots ne put souffrir , ceux-ci, eut de la peine à souffrir ; et cette autre phrase, « Il la défendit pourtant en public, et se priva soi-même de ce plaisir, etc. »a été changée en celle-ci : « Il défendit cette comédie pour le public, jusques à ce qu’elle fût entièrement achevée, et examinée par des gens capables d’en juger, pour n’en pas laisser abuser à d’autres moins capables d’en faire un juste discernement. » Ces changements, faits après coup, ont évidemment pour objet de transformer en une suspension momentanée la défense absolue et définitive qu’avait faite Louis XIV. […] Surtout, peut-on souffrir l’homme aux réalités, Qui, pour se foire aimer, dit cent impiétés.