Molière a justement saisi le degré de la société où il devait placer son personnage ; et Voltaire a rendu parfaitement sensible l’excellence de son choix : « La folie du Bourgeois, dit-il, est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme, avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant. […] Puisque j’ai commencé à examiner comparativement les différents étages de la société, j’en prendrai occasion de faire remarquer ici que Molière, presque toujours, donne aux enfants des expressions plus élégantes, des idées plus raffinées, et même des sentiments plus élevés qu’à leurs parents. […] La moralité de la pièce est qu’il ne faut pas qu’un bourgeois dédaigne son état et la société de ses égaux, sous peine de trouver quelque seigneur besogneux et peu délicat qui flatte sa manie pour épuiser sa bourse ; elle n’est pas, cette moralité, qu’il faut qu’un grand seigneur sans argent tâche de rencontrer un bourgeois sans esprit, pour le voler et se moquer de lui. […] comment une farce, pleine de sel et de gaieté sans doute, mais privée de cette vérité, de cette profondeur d’observation, qui font du théâtre un miroir de l’homme et de la société, serait-elle venue, pour ainsi dire, séparer deux admirables peintures de caractères et de mœurs, si Molière, en la composant, n’avait cédé à d’autres suggestions qu’à celles de son génie, n’avait obéi à d’autres intérêts qu’à ceux de sa gloire ? […] Il n’en est pas, il n’en peut pas être ainsi dans nos sociétés modernes, où les maîtres n’ont pas droit de vie et de mort sur leurs serviteurs, et où ceux-ci peuvent rompre à chaque instant le contrat qui les assujettit à la volonté d’autrui.