/ 207
88. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE III. L’Honnête Homme. » pp. 42-64

Avec cela vous l’avez fait amoureux, et amoureux d’une façon qu’il condamne lui-même147, pour nous montrer que le sage inébranlable rêvé par l’orgueil stoïcien148 ou par l’égoïsme épicurien149 n’existe point ; pour nous rappeler à l’humilité que doit entretenir en nous le sentiment de notre incurable faiblesse, et. pour avertir les plus fermes de leur fragilité-, comme, le. chant du coq- avertit Pierre150. Enfin vous. avez. su, en nous peignant ces infirmités du sage, et en nous faisant rire de ses travers, nous inspirer ; pour lui pour sa vertu,, un sentiment de respect que ne peut diminuer tout le rire excité par ses boutades ; et, à la fin de votre pièce, notre opinion sur lui reste celle qui était la vôtre, et que vous avez mise dans la bouche de la sincère Eliante : Dans. ses façons d’agir il est fort singulier ; Mais j’en fais, je l’avoue, un cas particulier ; Et la sincérité dont son âme se pique À quelque chose en soi.de noble et d’héroïque. […] Mais ce calme du sage n’est ni l’indifférence211 ni l’orgueil212 : il faut que, toujours maître de soi, l’honnête homme supporte bravement le mal sans jamais se laisser faire le bien213 ; que, malgré tous les défauts des autres, il reste pour eux indulgent, bienveillant, serviable214 ; qu’il ne soit pas simplement un homme honnête et bon, mais un homme instruit, aimable, capable de conversation, spirituel s’il peut215 ; qu’il répande autour de lui non seulement le bien, mais l’agrément, et que toutes ses qualités ne lui donnent jamais un sentiment d’amour propre216 ; qu’il ait, avec la modestie, la dignité et les bonnes manières sans affectation217 ; qu’il songe même à la façon de s’habiller, sans être négligé ni ridicule, mais aussi sans outrer la mode218 ; qu’avec une juste libéralité il évite soigneusement les excès de luxe dans la toilette comme dans la vie, et qu’il ne sacrifie point son bien ni sa famille aux inutiles satisfactions de la vanité, ou aux prétendues exigences du monde219 : ce chapitre est infini, et Molière semble n’avoir pas oublié un seul des éléments, même les plus insignifiants en apparence, dont doit se composer cette perfection de la société polie, l’honnête homme.

/ 207