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103. (1850) Histoire de la littérature française. Tome IV, livre III, chapitre IX pp. 76-132

Enfin, à un langage qui n’appartient pas en propre aux personnages, qui vise au trait, et que gâtait un reste de pointes imitées de l’italien, il fallait substituer la conversation de gens exprimant naïvement leurs sentiments et leurs pensées, et n’ayant d’esprit que le leur ; il fallait, en un mot, plus observer qu’imaginer, plus trouver qu’inventer, et recevoir des mains de la société elle-même les originaux qu’elle offrait au pinceau du peintre. […] Il ne faut pas donner trop à penser à des spectateurs ; c’est un plaisir pour le cabinet ; Molière l’a dit du public : « Ces gens-là ne s’accommoderaient nullement d’une élévation continuelle dans le style et dans les sentiments. » On veut rire à la comédie, et la réflexion n’y provoque guère ; il est beau de ne faire rire que l’esprit ; mais encore faut-il qu’il ne lui en coûte aucun travail, et que ce ne soit pas par des vérités dans lesquelles il ne peut pas enfoncer sans s’attrister. […] Armande Béjart ne ressemblait-elle pas trop à Célimène, pour que le mari de l’une n’eût pas tous les sentiments de l’amant de l’autre ? […] Aussi rien de romanesque dans ces fortes et charmantes peintures des sentiments de l’amour ; rien qui soit fait de tête, ni sur le modèle de la galanterie à la mode ; pas un trait qui n’aille à tous les temps et à tout le monde. […] Nul poète n’a fait parler les cœurs avec plus de passion et avec plus de justesse tout ensemble ; nul n’a fait meilleure garde autour du sien pour n’y pas laisser pénétrer les tours d’imagination de son époque, ni l’orgueil des sentiments extraordinaires.

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