Molière et le Misanthrope J’ai entendu, il y a déjà nombreuses années, un homme d’infiniment d’esprit et de talent, quelque peu négligé aujourd’hui, ce me semble, — Léon Gozlan, — émettre en façon d’axiome l’opinion que voici : « L’un des premiers symptômes de la folie chez le comédien, — c’est de vouloir jouer le Misanthrope. » La sentence me parut notable et je me la suis toujours rappelée ; de façon que je n’ai éprouvé aucune surprise lorsque plus tard, n’ayant pas plus qu’un autre échappé à la règle et m’entretenant avec quelques amis de mon désir naissant d’interpréter Alceste, je recueillis immédiatement cette réponse unanime : « Mais vous êtes fou, mon cher ! […] Je n’oserais pas trop l’affirmer, car je ne me suis rendu qu’à contre cœur, et la considération qui m’a arrêté ne me semble pas très solide au fond. […] Il me semble pourtant pousser un peu loin les choses, lorsque dans la protestation d’Alceste contre l’arrêt qui le condamne, mais qu’il ne veut point qu’on casse, — dans ce fameux témoignage qu’il veut laisser à la postérité, M. du Boulan veut que nous voyions..… les cahiers des États-Généraux de 89 ! […] Un siècle plus tôt, Molière se fut appelé Rabelais, un siècle plus tard, Voltaire ; alors il eut été un réformateur, parce qu’il eût vécu dans un temps de réforme et de combat ; au xviie siècle, dans un temps où l’organisation sociale semblait achevée et quasi parfaite, il fut Molière, le contemplateur ; rien de plus. […] et le Misanthrope n’est pas un traité de Misanthropie, mais une comédie ; si donc, sur une question de théâtre, tous les acteurs sont d’accord, eux qui ont charge d’entrer assez avant dans la pensée de l’auteur pour pouvoir l’incarner, il y a gros à parier qu’ils n’ont pas tort, ce me semble ; et leur opinion vaut bien en tous cas qu’on la considère autant que celle de littérateurs très éminents du reste, mais qui ne sont pas de la partie.