/ 321
230. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

L’humeur sauvage des pères et des époux, la vertu des femmes qui tenait un peu de la pruderie, le savoir défiguré par le pédantisme, gênaient l’esprit de société qui devenait celui de la Nation. […] Il eut l’avantage de voir de près son Maître combattre des erreurs accréditées dans l’Europe, et il apprit de bonne heure ce qu’un esprit sage ne sait jamais trop tôt, qu’un seul homme peut quelquefois avoir raison contre tous les Peuples et contre tous les Siècles. […] Avoir à la fois un cœur honnête, un esprit juste ; se placer à la hauteur nécessaire pour juger la société ; savoir la valeur réelle des choses, leur valeur arbitraire dans le monde, celle qu’il importerait de leur donner ; ne point accréditer les vices que l’on attaque en les associant à des qualités aimables, méprise devenue trop commune chez les successeurs de Molière, qui renforcent ainsi les mœurs au lieu de les corriger ; connaître les maladies de son siècle ; prévoir les effets de la destruction d’un ridicule : tels sont dans tous les temps les devoirs d’un Poète comique. […] On sait, par exemple, que les hommes n’ont guère pour but que leur intérêt dans les conseils qu’ils donnent. […] Que ceux qui savent lire dans l’âme des grands Hommes conçoivent encore quelle dut être son indignation contre les préjugés dont il fut la victime.

/ 321