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130. (1821) Notices des œuvres de Molière (VI) : Le Tartuffe ; Amphitryon pp. 191-366

Voilà ce qu’ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique un hypocrite imaginaire, ou même, si vous le voulez, un hypocrite réel ; et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule, la crainte des jugements de Dieu, l’horreur du péché, les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus chrétiennes. […] Qui sait, enfin, si le jésuite n’a pas été animé d’un secret ressentiment contre le poète qui avait jeté l’odieux et le ridicule sur certaines maximes tant reprochées à la fameuse société ? […] Il aurait fallu, suivant La Bruyère, que Tartuffe n’employât pas le jargon de la dévotion, qu’il ne fût pas amoureux d’Elmire, et qu’il ne voulût pas se faire donner tous les biens d’Orgon au détriment des héritiers directs : en d’autres termes, il aurait fallu qu’il ne fût ni odieux ni ridicule, ou du moins qu’il ne le parût pas, ce qui est ici la même chose. […] Molière est, sans contredit, de tous nos poètes comiques celui qui a le plus souvent et le plus gaiement tiré parti de l’espèce de ridicule attachée à certaine disgrâce qui menace les maris, et que désignait de son temps une expression naïve repoussée par la délicatesse actuelle du langage. […] L’amour que ressent pour lui une femme si digne d’en inspirer, cet amour que Jupiter lui envie, en même temps qu’il en usurpe sur lui les plus précieuses marques, contribue à relever son caractère, et à empêcher que, dans une situation toute risible, il ne soit personnellement ridicule.

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