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11. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX & dernier. Des causes de la décadence du Théâtre, & des moyens de le faire refleurir. » pp. 480-499

Nos voisins, corrigés par nos bons modeles, & riches des traductions ou des imitations de nos meilleures pieces, sont honteux pour nous de nous voir ramasser chez eux avec soin les rapsodies, les extravagances que nos anciens chefs-d’œuvre les instruisirent à mépriser. […] Soyez surpris, avec raison, de voir la qualité & l’intérêt s’établir des privileges dans le sanctuaire des arts : dites-vous à vous-même qu’au théâtre les vrais nobles, les vrais riches, sont ceux qui ont hérité de Moliere, de Corneille, & qui les approchent de plus près : gémissez en secret ; mais gardez-vous d’insister si vous desirez qu’on vous joue par grace dans les petits jours, ou pendant les chaleurs de l’été57, encore serez-vous très heureux. […] Mais un théâtre ne peut se soutenir sans nouveautés, & je le prouve par l’Opéra, qui a le fonds le plus riche, qui peut le rajeunir en changeant la musique de quelques ariettes, ou les ballets, qui donne le même spectacle trois mois de suite, & qui languit faute de pieces nouvelles. […] Qu’on cesse d’y représenter ces drames étonnants qui blasent le goût, & produisent sur le public l’effet des liqueurs fortes sur les palais délicats ; qu’on ne s’y borne pas à rouler sur sept ou huit canevas, tandis qu’on a le fonds le plus riche ; qu’on y reprenne ces parodies si propres à corriger les ridicules, si nécessaires pour la police du Parnasse ; qu’on y parle enfin plus au cœur & à l’esprit qu’aux oreilles : alors tout Paris dira avec Fontenelle en y courant : Je vais au grenier à sel.

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