Le mot du duc de Montausier, je voudrais ressembler au Misanthrope de Molière, a pu donner lieu au reproche que l’on a fait à l’auteur d’avoir voulu présenter sous une face désavantageuse un caractère dont tout homme vertueux pourrait se faire honneur ; mais ce mot est plutôt l’expression vive du cas que l’on doit faire de la vertu, quand même elle serait poussée trop loin, qu’une critique solide de la pièce. […] Il n’est point soumis, il n’est point languissant ; mais il lui découvre librement les défauts qu’il voit en elle, et lui reproche qu’elle reçoit bien tout l’univers ; et pour douceur il lui dit qu’il voudrait bien ne la pas aimer, et qu’il ne l’aime que pour ses péchés. […] Molière a si bien senti la faute qu’on lui reproche qu’il a eu grande attention, dans la seconde scène du premier acte, à donner à Cléante le caractère d’un fils très respectueux, et qui sent parfaitement ce que la nature exige de lui ; mais en même temps il l’a représenté passionné pour une jeune fille, et tremblant que l’extrême avarice de son père ne devienne un obstacle à son mariage. […] La feinte adulation de Valère confirme Harpagon dans son avarice ; mais les reproches de Cléante, et la sincérité de Maître Jacques, peuvent le rappeler à lui-même, et contribuer à le guérir : ainsi, sans ces deux personnages, la passion principale ne trouverait rien dans la pièce qui pût le corriger : car tout ce que les acteurs disent en l’absence de l’Avare ne fait rien à sa correction, et ne fournit pour l’ordinaire que du comique, mais sans instruction. […] Pantalon reproche à Lélio, d’une façon équivoque, l’indignité de son action, et Lélio lui répond de même sur l’amour de Flaminia : cette scène est plus ou moins soutenue à l’impromptu, suivant le talent des acteurs ; mais ils ont tous par tradition un certain nombre de propos, ou de répliques principales, dont Molière s’est servi dans son Avare.