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136. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Voici cependant cette lettre que mademoiselle de Brie écrivait probablement à une amie, dont elle ne dit pas le nom : « Je vous ai raconté que la troupe était très abandonnée et ne gagnait pas d’argent depuis longtemps ; que le parterre n’applaudissait plus que Scaramouche, et qu’enfin, sur les représentations de mademoiselle du Parc et de mademoiselle Molière, celui-ci avait promis d’écrire une comédie sur le patron d’une pièce espagnole qu’on lui a racontée. […] Plus on écoute cette scène admirable, et plus on se demande pourquoi Molière lui-même l’avait supprimée à la seconde représentation ? […] En vain La Bruyère l’a replacée dans un des coins les plus vifs et les mieux éclairés de son immense comédie ; en vain, de temps à autre, par un soin littéraire qui se retrouve à toutes les époques, a-t-on voulu rétablir la scène du pauvre, j’ai presque dit la scène du monstre (pour parler comme l’affiche de l’Opéra), telle qu’elle fut jouée à la première représentation… La tentative était inutile ; Don Juan et Sganarelle furent respectés, le pauvre disparut pour toujours ; pour toujours, on le croyait, on le disait du moins, car le texte même de Molière, le texte du Don Juan original, avait été remplacé par l’improvisation du second Corneille ; qui se garda bien de nous ramener ce mendiant qui était le si mal venu dans ce drame de joie, de duels, de dettes non payées, d’enfants railleurs, de filles abusées, de pères conspués ; un drame où tout abonde de ce qui est le vice, l’ironie, la grâce, l’éloquence, l’art, la passion, le plaisir, la fête, le bon goût, la parodie des choses divines, le mépris de l’autorité humaine, jusqu’à ce qu’enfin, de péril en péril, de folies en paradoxes, de cruautés en trahisons, le héros merveilleux de cette fantaisie abominable et charmante tombe, la tête la première, dans son dernier abîme, dans le dernier de tous les abîmes, l’hypocrisie. […] Il a grogné pendant toute la représentation, et plus d’une fois il a sifflé même Molière ! […] Bulwer parurent, à la première représentation de sa pièce, si insipides et si déplacées, qu’on eut honte de les avoir entendues ; nul ne voulut être complice d’une comédie où le roi Louis XIV parlait comme un valet de chambre, où M. de Lauzun se conduisait comme un escroc, M. le chevalier de Grammont comme un niais, M. le marquis de Montespan comme un infâme, et madame de Montespan comme une fille.

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