Je ne crois pas en effet que, dans notre langue au moins, aucun écrivain dramatique ait su se plier au personnage et s’assimiler sa manière de parler, comme Molière ; et cela est d’autant plus remarquable, que, considéré en lui-même, Molière a un style très personnel, rempli de défauts et de défaillances. […] Un homme faible, envahi par cette idée, en est ravagé de fond en comble, un homme fort tâche de la repousser ; s’il ne la repousse pas, s’il est obligé de la subir, du moins ne la subit-il que pour y puiser une résignation pieuse, une attention plus ferme, plus sincère, plus noble, à remplir tous les devoirs d’une vie qui va finir, et à ne laisser derrière soi que des souvenirs de force, de vertu et de bonté. […] Le Guide des pécheurs, ajoute Gorgibus, Le Guide des pécheurs est encore un bon livre… Le ridicule dont Gorgibus est rempli rejaillit un peu, — ce que Molière paraît chercher, — sur les livres recommandés par lui. […] Honnête commerçant du faubourg Saint-Denis, qui avez fait fortune et qui vers trente ans songez au mariage, prenez garde : vous savez que la Révolution française a détruit les castes, vous vous êtes élevé par votre travail, vous en êtes fier ; mais vous voulez une femme qui ait le relief d’une bonne éducation, et vous allez choisir, bien loin du faubourg Saint-Denis, la fille de quelque fonctionnaire illustre qui a été élevée dans un autre monde et qui a reçu d’autres habitudes que vous ; vous songez qu’il n’y a plus de castes en France, vous la recherchez ; et, tout doucement, sans vous en douter, vous allez épouser Angélique de Sotenville, vous aussi ; établir, de votre volonté, une démarcation entre votre femme et vous ; si votre femme est honnête, souffre et remplit ses devoirs, elle ne vous rendra pas malheureux, mais elle ne vous donnera pas la félicité ; vous n’aviez pas besoin d’aller chercher si loin votre femme, au lieu de la prendre dans la boutique ou l’usine d’à côté ! […] Si j’ai rempli Athènes de mes folies, peut-être, pensais-je, en fixant l’attention universelle, que j’attirerais aussi la sienne ; plus on parlera autour d’elle des saillies de mon humeur frivole, plus elle en parlera elle-même, et la curiosité m’ouvrira le chemin de son cœur.