Ce vieillard était homme de grand sens, puisqu’il était ainsi frappé de la supériorité du nouveau genre tenté par Molière, sur celui dans lequel ses devanciers et lui-même jusqu’alors s’étaient renfermés ; mais Ménage fit preuve d’une candeur plus admirable encore, lorsqu’il reconnut de si bonne grâce une longue erreur de son esprit, et qu’il fit si complètement le sacrifice de son amour-propre à la vérité qui venait le désabuser. […] Il lui fallut sans doute du courage, pour substituer à des peintures fantastiques qui ne pouvaient offenser personne, puisque personne ne pouvait s’y reconnaître, les tableaux ou plutôt les miroirs fidèles qui devaient répéter l’image des êtres pervers ou ridicules dont il était environné. […] Des injures un peu grossières et des plaisanteries un peu bouffonnes donnent au langage même de Sganarelle une couleur, pour ainsi dire, scarronesque ; ce qui n’a pas empêché les meilleurs juges, et Voltaire entre autres, de reconnaître que le style du Cocu imaginaire l’emporte de beaucoup sur celui des précédents ouvrages de Molière. […] M. de Soyecourt, possédé d’une manie qu’il n’avait pas seul et que sûrement il ne croyait pas avoir, ne dut pas se reconnaître plus qu’un autre dans le portrait du chasseur ridicule ; et si quelque chose était propre à éloigner de lui l’idée que Molière l’eût choisi pour modèle, c’était sans doute le soin qu’il avait eu de le prendre pour auxiliaire de son travail. […] On y verra, sans étonnement, mais non pas sans plaisir peut-être, que La Fontaine avait été des premiers à sentir et à reconnaître le talent de Molière.