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14. (1901) Molière moraliste pp. 3-32

Nous sommes pris de pitié en entendant Agnès reprocher à Arnolphe (au moment où il ose lui rappeler les soins qu’il prit d’élever son enfance) cette ignorance dont elle souffre et qui lui pèse sur le cœur : Vous avez là-dedans bien opéré vraiment Et m’avez fait de tout instruire joliment ! […] Et ce respect de Molière (bien supérieur en cela à La Fontaine) pour la femme, qu’il croit naturellement bonne et généreuse, ne répond-il pas aux préoccupations du grand philosophe moderne qui jugeait de la valeur morale d’une société selon la place que la femme y tenait, l’estime et le respect dont elle y était entourée, croyant avec raison que seule la femme sera capable d’élever, de rendre meilleur et plus pur le cœur de l’homme ; que seule la compagne de celui qui lutte et qui pense, saura lui rappeler sans cesse qu’il doit être non seulement courageux et énergique, mais très bon, très généreux et très aimant. […] On ne saurait certes mieux rappeler et proclamer à quel point l’autorité ferme et résolue du père est indispensable au bonheur de cette famille, mais cette haute leçon perd toute apparence dogmatique et didactique, quand elle est donnée par un frère auquel son cœur et sa raison dictent à la fois ce qu’il dit. […] Argan, le malade imaginaire, préoccupé surtout de se choisir un gendre médecin, veut-il contraindre sa fille à épouser Thomas Diafoirus ou à s’enterrer dans un cloître, c’est Toinette qui lui fera la leçon ; car, dit-elle : « Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser » ; et cette familiarité, cette bonhomie avec laquelle Toinette rappelle Argan à lui-même, fait infiniment plus d’impression sur les auditeurs que les plus savants raisonnements du monde : Argan. […] Avec quelle dédaigneuse pitié cette robuste fille rappelle à la réalité sa petite maîtresse Angélique affolée, larmoyante, indécise, et qui parle de se donner la mort si tout ne va pas selon ses vœux : Fort bien, c’est un recours où je ne songeais pas, Vous n’avez qu’à mourir pour sortir d’embarras ; Le remède sans doute est merveilleux.

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