/ 236
107. (1853) Des influences royales en littérature (Revue des deux mondes) pp. 1229-1246

Il est vrai que les grands talens échapperont plus aisément que d’autres à des périls de ce genre ; par bonheur, les Mécènes ont presque toujours une prédilection marquée pour les écrivains abandonnés du public ; ils les consolent avec des pensions. […] Il existe aujourd’hui une puissance courtisée par les gens de lettres, plus courtisée que ne l’a jamais été Louis XIV : c’est le public ; ceux qui s’adressent à un autre pouvoir ne le font guère que quand ils désespèrent de plaire à celui-ci. […] Ce n’est pas que parfois, comme toutes les puissances du monde, elle ne place singulièrement ses faveurs et ne les prodigue un peu au hasard ; mais comparez ses appréciations à celles des protecteurs les plus éclairés des temps anciens ; relisez la liste des pensions dressée par Colbert, approuvée par Louis XIV, et dites si jamais le public, s’est aussi grossièrement trompé que le grand ministre et le grand roi. […] Quels que soient ces inconvéniens attachés aux faveurs du public, il faut convenir au moins qu’ils lui font honneur. Cette majesté collective a bien d’autres avantages sur Louis XIV et tous les autres protecteurs des lettres, quand ce ne serait que de permettre, d’aimer même la contradiction ; car un moyen de plaire au public, moyen un peu usé aujourd’hui, a été souvent de lui rompre en visière, de lui dire de brutales vérités, de le calomnier même, et il l’a souffert, et il s’en est réjoui.

/ 236