Cette crise faisant une concurrence fâcheuse aux divertissements de la scène, Molière partit pour la province, où, pendant douze années, à la tête de sa caravane, tout ensemble directeur, acteur et auteur9, il accomplit un noviciat singulièrement propre à former un poète comique. Ce rude apprentissage ouvrit un vaste champ à sa curiosité ; car la province était alors aussi variée de mœurs que de costumes. […] Tandis qu’il met en scène toutes les classes, toutes les conditions de la société, la cour, la ville, la province, bourgeois, nobles, paysans, marchands, médecins, hommes de loi, valets et maîtres, le moraliste représente au vif tous les caractères, tous les ridicules, tous les vices, pédants, fâcheux, fanfarons, fripons, dupeurs et dupés, bel esprit, faux savoir, avarice, prodigalité, coquetterie, égoïsme, entêtement, malveillance, vanité, sottise, jalousie, libertinage, irréligion, hypocrisie, en un mot son temps, et avec lui l’humanité tout entière. […] Sur son modèle se formèrent des ruelles bourgeoises, des alcôves de province où l’on n’était admis qu’à condition de connaître le fin des choses, le grand fin, le fin du fin.