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13. (1824) Notice sur le Tartuffe pp. 91-146

De son côté Molière, observateur profond, avait jugé qu’il avait besoin de flatter son maître pour avoir le droit de ne pas flatter son siècle : sous une minorité orageuse, il n’eût pas été libre d’exprimer une seule vérité, parce que chaque faction régnait à son tour, et qu’elles étaient trop éphémères ou trop faibles pour supporter le ridicule. […] On pense bien que cette diatribe, tombée aujourd’hui dans un oubli profond, fut reçue avec de grands applaudissements de toute la cabale ; il m’a paru utile, sous plus d’un rapport, d’en faire revivre les principaux passages. […] Depuis cette époque il n’a pas été un seul instant banni du théâtre ; il y est demeuré même sous la vieillesse de Louis XIV, et si récemment la pièce a disparu quelques jours de la scène, elle a été plutôt suspendue qu’interdite ; encore l’ordre de ne pas l’inscrire sur le répertoire est resté enseveli dans un profond mystère. […] Où a-t-il trouvé cette peinture si énergique et si profonde de l’hypocrisie et du fanatisme, ce secret de forcer l’imposture jusque dans ses derniers retranchements, d’arracher la vérité au mensonge même, et de faire jaillir du choc des plus viles passions le triomphe de la vertu ? […] Ce n’est ni la pièce d’une époque ni celle d’une nation, c’est celle de tous les siècles et de tons les pays avancés dans la civilisation ; c’est le tableau le plus hardi et le plus vrai, le plus triste et le plus sublime, c’est l’étude la plus profonde qu’un homme ait jamais faite sur les misères de l’humanité.

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