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37. (1881) La philosophie de Molière (Revue des deux mondes) pp. 323-362

Je suis persuadé qu’elle est fort belle et fort instructive ; mais il ne convient pas à des comédiens d’instruire les hommes sur les matières de la morale chrétienne et de la religion : ce n’est pas au théâtre à se mêler de prêcher l’Évangile. » On voit que le premier président ne mettait pas en doute la bonne foi et la bonne volonté de Molière, et que ses doutes ne portaient pas sur le danger de confondre la fausse dévotion avec la vraie, mais seulement sur l’inconvenance de mettre sur la scène comique des matières religieuses : le principe sur lequel il s’appuyait était la séparation du sacré et du profane. […] C’est en vertu, d’un principe semblable que l’Église se réservait le droit de juger les souverains et de décider les questions mêmes de droit civil, non pas en tant qu’intérêts temporels, mais, comme on le lisait alors, sub ratione peccati, au point de vue du péché. C’est d’après ce même principe que l’Église se considère encore comme investie, jure divino, du droit d’enseigner, et regarde comme une usurpation tout enseignement laïque ; le Tartuffe, au contraire, était une revendication pour la raison profane du droit de séparer la vraie piété de la fausse, de flétrir celle-ci en respectant l’autre ; ce droit, il est vrai, n’avait jamais fait défaut à la liberté profane, car les romans et les poésies satiriques, depuis Jean de Meung jusqu’à Régnier, avaient toujours raillé les cagots et les moines. […] D’ailleurs, nul n’aime à flétrir soi-même ce qui a l’apparence de ses principes, fût-ce une flatteuse apparence, de même que l’on ne repousse pas la flatterie, même lorsqu’on sait qu’elle est la flatterie. […] Si l’on prend à la lettre le principe que la comédie doit toujours faire rire et qu’elle ne blâme que par le ridicule : castigat ridendo , on demanderait alors avec raison si Célimène est comique, puisqu’on ne rit pas d’elle.

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