Que Molière ait su allier à ce caractère odieux une élégance chevaleresque, une audace juvénile42 qui empêchent que l’horreur ne nous prenne trop vile, et qui intéressent encore au héros, si méprisable qu’il soit ; qu’il ait agréablement mêlé à l’intrigue les traits et les situations les plus comiques, pour rester dans le domaine de la comédie, et ramener le rire chez le spectateur prêt à subir des émotions moins gaies, c’est une habileté d’auteur qu’on doit admirer, et qui ajoute grandement au mérite d’une pièce si difficile à rendre attrayante sans rendre le vice lui-même attrayant. […] L’hypocrisie, Molière l’avait en horreur75 : c’était pour lui le comble de la scélératesse76 ; et il était d’avis sans doute que, dans une débauche ouverte, il y a encore un certain mérite de franchise, un espoir quelconque de repentir, qui ne se trouvent plus quand le criminel a pris enfin le parti de se couvrir du manteau de Dieu. […] D’ailleurs, Molière a pris toutes les précautions pour empêcher qu’on n’attribuât à la vraie piété une seule des paroles ni des actions de l’imposture : comme il le dit lui-même dans sa Préface, il a « employé deux actes entiers à préparer la venue de son scélérat ; » quel scélérat ! […] Il faut remarquer que l’archevêque de Paris et Bourdaloue ont pris l’un et l’autre ces idées et même ces expressions dans la relation intitulée les Plaisirs de l’Ile enchantée, Paris, 1665 : « Le roi connut tant de conformité entre ceux qu’une véritable dévotion met dans le chemin du ciel et ceux qu’une vaine ostentation de bonnes œuvres n’empêche pas d’en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir celte ressemblance du vice avec la vertu qui pouvoient être pris l’un pour l’autre, et quoique l’on ne doutât pas des bonnes intentions de l’auteur, il défendit pourtant celte comédie en public, et se priva soi-même de ce plaisir pour n’en pas laisser abuser à d’autres moins capables d’en faire un juste discernement. » Voir J.