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88. (1900) Molière pp. -283

Il est enfin en pleine possession de la faveur et de la renommée ; mais il n’est pas encore en pleine possession de son génie ; il ne produit encore que des essais, assez remarquables toutefois pour donner une haute opinion de ce qu’il fera plus tard. […] Ce que Molière conçut dans sa vie de province de charmantes et de fécondes idées, a fructifié dans son cerveau, et plus tard son imagination se charge de les colorer. Prenez, par exemple, La Jalousie du Barbouillé, et George Dandin, c’est le même sujet, c’est la même pièce ; d’un côté, seulement, vous avez un canevas sans art, et de l’autre un chef-d’œuvre ; c’est le même fond, conçu, observé quelque part, je ne sais où, dans le Limousin ou la Gascogne, et qui plus tard deviendra George Dandin. […] J’aurai à revenir plus tard sur la théorie qui fait de Molière l’émancipateur de la bourgeoisie. […] Transportons-nous vingt ans plus tard, à l’époque ou règne madame de Maintenon : le roi révoque l’Édit de Nantes, et emploie dans ses armées des athées plutôt que des jansénistes ; on envoie des dragons, en guise de missionnaires, aux protestants des Cévennes ; la dévotion de ceux qui règnent est devenue si étroite, si dangereuse, que Saint-Simon, le plus pieux des hommes, ne signale qu’un seul défaut dans le duc de Bourgogne, dont il fait un type de perfection ; ce défaut, c’est une dévotion qui lui fait choisir de préférence, pour officiers de ses armées, ceux qui accomplissent ou font semblant d’accomplir tous les devoirs extérieurs de la religion, plutôt que ceux qui sont honnêtes, sages, vraiment pieux et habiles dans leur métier.

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