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92. (1740) Lettres au Mercure sur Molière, sa vie, ses œuvres et les comédiens de son temps [1735-1740] pp. -89

Il se répandoit avec eux sur ses chagrins domestiques, qui avoient souvent leurs principes dans son humeur naturellement rêveuse et bizare, qu’augmentoit encore sa mauvaise constitution ; mais cette foiblesse de santé avoit d’ailleurs un avantage : c’étoit de le dispenser des excès de ses amis, témoin l’histoire, que rapporte l’auteur de sa vie, de ceux qui, à la fin d’un repas qui avoit duré toute la nuit, formèrent le projet bizare et funeste de s’aller noyer, et que Moliere, qui en fut averti assez à temps, ramena en flattant leur manie, en leur faisant entendre qu’il vouloit être de la partie, qu’ils avoient raison, que le bonheur de la vie, et la vie même, n’étoit rien, qu’elle étoit pleine de traverses, etc. […] Un grand comédien eût trop poussé un rôle assés plein de lui-même, et eût fait faire trop d’impression à sa férocité sur les âmes tendres. » On prétend qu’il mourut par les efforts violens qu’il fit enjouant Oreste, où l’on assure que son ventre s’ouvrit ; il étoit si prodigieusement gros76 qu’il étoit soutenu par un cercle de fer. […] Il étoit plein de sentimens pathétiques, et quelquefois jusqu’à faire perdre la respiration aux spectateurs. […] C’étoit une très excellente et même gracieuse comédienne, quoique laide, point jeune et fort maigre, mais, malgré cela, pleine d’agrément.

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