Il renferme toute son intelligence dans les prétextes présents, sans aller plus loin ; il s’applique à ce qu’il voit ; il ne previent pas ce qui doit arriver, & son imagination se laissant tromper par l’art du poëte, sa satisfaction est plus ou moins grande, selon l’adresse avec laquelle on lui a ménagé un plaisir que l’illusion peut rendre toujours nouveau. […] Quelle imagination n’a-t-il pas fallu pour épargner au spectateur la peine du travail dans une intrigue très vive, pour lui procurer le plaisir de la voir se dénouer tout naturellement, & celui de voir Sganarelle donner dans les pieges qu’il a voulu tendre ! Remarquons que lorsque Moliere a conduit ses dupes au point desiré, il peint avec diverses couleurs la façon dont ils expriment la rage qui les anime ; par ce moyen il évite la monotonie, & le plaisir de ses lecteurs est varié. […] La déclamation du premier, le monosyllabe du dernier, peignent également leur dépit, font le même plaisir au spectateur, & vont au même but par des chemins opposés. […] Pour moi, je veux premiérement être persuadé que les Dieux ne sont immortels que parcequ’ils ont des plaisirs qui n’ont point de fin ; & je suis sûr aussi que je ne saurois manquer d’être immortel comme eux, si aucun chagrin ne succede à cette joie.