Livré à toutes les séductions de la puissance et de l’amour, il se plaisait à orner le trône des lauriers de la victoire et des palmes du génie ; un grand talent flattait son orgueil, tous les succès étaient des fleurons de sa couronne ; il semblait qu’ils fussent les siens ; et, se faisant une auréole de toutes les renommées, déjà il disait : L’état, c’est moi. […] Et, quoiqu’il plaise à faux, en est-il moins louable ? […] « Il est vrai qu’il y a quelque chose de galant dans les ouvrages de Molière, et je serais bien fâché de lui ravir l’estime qu’il s’est acquise ; il faut tomber d’accord que s’il réussit mal à la comédie, il a quelque talent pour la farce ; et quoiqu’il n’ait ni les rencontres de Gauthier-Garguille, ni les impromptus de Turlupin, ni la bravoure du Capitan, ni la naïveté de Jodelet, ni la panse de Gros-Guillaume, ni la science du docteur, il ne laisse pas de plaire quelquefois et de divertir en son genre. Il parle passablement français ; il traduit assez bien l’italien, et ne copie pas mal les auteurs, car il ne se pique pas d’avoir le don de l’invention, ni le beau génie de la poésie ; ce qui fait rire en sa bouche fait souvent pitié sur le papier, et l’on peut dire que ses comédies ressemblent à ces femmes qui font peur en déshabillé, et qui ne laissent pas de plaire quand elles sont ajustées, ou à ces petites tailles qui, ayant quitté leurs patins, ne sont plus qu’une partie d’elles-mêmes. […] Tartuffe se croit dévot ; s’il déposait tout à coup le masque devant Elmire, et qu’il lui tînt le langage d’un petit maître ou d’un libertin, cet aveu seul de son hypocrisie l’humilierait aux yeux de celle qu’il veut séduire ; mais c’est comme dévot qu’il veut plaire, c’est par sa profession même qu’il essaie de faire taire les scrupules d’une femme bien née qui hésite entre ses devoirs et ses passions ; il lui promet De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur.