Il serait naturel que Dorine — puisque Molière a fait d’elle un des deux philosophes de la pièce — montrât par un mot que, si elle méprise les simagrées de piété, elle a un fonds solide de religion populaire, et ce mot elle ne le dit nulle part. […] Si vous prenez un à un tous ces contraires des idées de Molière, vous apercevez que ce sont des idées qui s’éloignent des idées bourgeoises, que ce sont des idées d’hommes généreux, un peu chevaleresques, ou de philosophes spiritualistes, ou d’artistes ; que chacune d’elles vise un certain idéal ; que, fussent-elles de nature à prêter à quelque contestation, elles ne sont pas plates ; elles ne sont pas médiocres ; elles ont quelque chose, toutes, ou d’un peu élevé, ou d’un peu rare, ou d’un peu charitable, ou d’un peu indulgent et cordial ; qu’elles ne sont pas celles de la moyenne de l’humanité ; qu’elles ne sont pas celles des « bêtes du troupeau », comme disait Nietzsche, qu’elles appartiennent à la doctrine des forts ; et la preuve sera peut-être faite du bourgeoisisme de Molière. […] On a quelquefois, Ferdinand Brunetière surtout et avec un admirable talent, - présenté Molière comme un philosophe de la nature, se rattachant à Rabelais d’une part et à Diderot, et un peu à Mousseau de l’autre, comme un homme qui croit à la bonté infaillible de la nature, qui fait de la nature notre vrai et sûr guide et qui veut ramener l’humanité à la nature et à obéir toujours à sa voix. […] Ajoutez encore ce que j’appellerai, si on me le permet, la détente du flegme : Philinte s’est fait un caractère de « flegme philosophe » qui ne s’étonne jamais de rien. […] Philaminte, grammairienne, littéraire, critique, philosophe, et je répète que Molière a voulu donner en elle le type de l’intellectuelle à peu près complet, est surtout scientifique et annonce les femmes de la fin du xviie siècle et du xviiie siècle.