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44. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XI. De la Religion. Principe et Sanction de la Morale de Molière. » pp. 217-240

Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde ; je suis revenue, grâces au ciel, de toutes mes folles pensées ; ma retraite est résolue, et je ne demande qu’assez de vie pour pouvoir expier la faute que j’ai faite, et mériter, par une austère pénitence, le pardon de l’aveuglement où m’ont plongée les transports d’une passion condamnable759. » Enfin, la souveraine justice de Dieu, « condamnant à des supplices éternels760 » ceux qui trouvent « que le ciel n’est pas si exact qu’on pense761, et qu’il faut qu’il parle un peu plus clairement, s’il veut qu’on l’entende762 ; »cette souveraine justice frappant « d’un épouvantable coup763 » les pécheurs qui ne profitent pas « de la miséricorde du ciel764 » et les «  esprits forts qui ne veulent rien croire765 ; » cette justice, dis-je, est affirmée par la brève autorité de cette parole : « L’endurcissement au péché traîne une mort funeste ; et les grâces du ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre766. »   Ces textes sont formels : ils ne sont point des traductions, et il suffit de les comparer sommairement aux modèles espagnols, pour voir qu’ils sont écrits dans un esprit sérieux tout différent de l’esprit superstitieux qui domine chez Tirso de Molina767. […] Génin : Il n’était pas janséniste, et savait attaquer les casuistes jésuites dans leur excès d’indulgence ; et quand il faisait dire à don Juan refusant un duel avec don Carlos : « Je m’en vais passer tout à l’heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand couvent ; mais je vous déclare, pour moi, que ce n’est point moi qui me veux battre ; le ciel m’en défend la pensée ; et si vous m’attaquez, nous verrons ce qui en arrivera780, » il voulait évidemment faire allusion aux artifices de direction d’intention par lesquels, dans la VIIe Provinciale, Hurtado de Mendoza autorise l’acceptation du duel «  en se promenant armé dans un champ, en attendant un homme, sauf à se défendre si l’on est attaqué… Et ainsi l’on ne pèche en aucune manière, puisque ce n’est point du tout accepter un duel, ayant l’intention dirigée à d’autres circonstances ; car l’acceptation du duel consiste en l’intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n’a pas781 ». […] Aujourd’hui même, des juges sincères peuvent être d’avis que cette absence complète, non-seulement de toute pratique, mais de toute pensée religieuse, a préludé, non pas à l’irréligion haineuse et prétendue savante des philosophes du dix-huitième siècle, mais à l’indifférence de bon ton qui règne de nos jours dans une grande partie de ce qui s’appelle par convenance la société chrétienne.

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