Depuis qu’un écrivain illustre, mêlant l’histoire et la biographie à l’étude des grandes œuvres de la pensée, a ouvert à la critique littéraire une voie nouvelle, bien des gens s’y sont précipités à sa suite ; mais, comme ils n’avaient ni le bon sens exquis, ni les lumières de M. […] C’est que, bien qu’on en puisse dire, la pensée, a besoin, pour développer toute sa puissance, d’être soutenue par les préoccupations politiques ou religieuses, d’être animée par la passion. […] La langue est encore imparfaite, nous dit-on : il semble pourtant que Rabelais, Calvin, Montaigne, La Boétie, Montluc, Régnier, d’Aubigné, ont bien trouvé la forme qui convenait à leurs pensées, et qu’elle a conservé l’inimitable empreinte des idées qui les agitaient. […] La société y a gagné peut-être, ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point ; mais, quand la pensée se calme, elle est bien près de s’endormir : elle ne se réveillera en effet que dans le siècle suivant, quand des passions nouvelles viendront la ranimer, et qu’à une époque stationnaire succédera une époque vivante et agitée, celle de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau. […] D’ailleurs, depuis le XVIIIe siècle, les lettres sont émancipées et n’ont plus besoin de protection ; les écrivains le savent : loin de méconnaître la puissance de la pensée, ils seraient plutôt tentés de l’exagérer.