Horace s’est adressé au cœur d’Agnès par l’affection, et il a fait naître de suite en elle le même sentiment, ainsi que cette jeune fille le dit à son tuteur avec une adorable naïveté : « Vraiment il on sait donc là-dessus plus que vous, car à se faire aimer il n’a point eu de peine. » C’est par ce moyen que, dans l’École des Maris, Ariste, quoique plus âgé que Sganarelle, sait se faire aimer de sa jeune pupille, tandis que celui-ci et Arnolphe ne savent que se faire détester des jeunes personnes qu’ils veulent épouser. […] » Quelle admirable peinture de la peine causée par le bonheur d’autrui et de la jouissance causée par le mal, non pas tant pour en tirer profit que pour le mal lui-même ! […] Loin d’être humble, au moins par convenance, devant sa femme et d’éprouver en sa présence quelque peine et quelque embarras, il jouit de la malheureuse situation où elle se trouve, il prend même un plaisir infernal à la bafouer en donnant pour prétexte de l’abandon dans lequel il la laisse, un motif qui n’est qu’une insigne moquerie : « Il m’est venu des scrupules (lui dit-il) ; j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisais. […] Si Molière fait dire au sage Cléante, en parlant de Tartuffe dévoilé et arrêté par ordre supérieur : « A son mauvais destin laissez un misérable et ne vous joignez pas au remords qui l’accable. » ce n’est pas qu’il croie que Tartuffe puisse éprouver le remords véritable ; car non seulement il ne lui en fait exprimer aucun, mais encore il l’a constamment présenté comme dépourvu des sentiments qui, froissés par quelque acte odieux, produisent cette peine morale. […] Je vous dis tout cela, ma sœur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire ; car, enfin, mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances. » Voilà l’irrésistibilité de la passion dans l’état complet de raison, chose qui ne se rencontre chez l’homme en santé que dans l’amour, à cause de l’attrait violent qui parfois l’accompagne.